Édito | La longue marche de l’hygiène et les 40 ans de la Société française d’hygiène hospitalière

jacques fabry

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Université de Lyon – Lyon – France
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joseph hajjar

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Praticien honoraire des hôpitaux – Pau – France
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philippe hartemann

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Université de Lorraine – Nice – France
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pierre parneix

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Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) Nouvelle-Aquitaine – Centre hospitalier universitaire (CHU) – Bordeaux – France
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On l’a dit d’un peuple1 mais on peut aussi le dire d’une discipline médicale et scientifique : une discipline sans mémoire pourrait ne pas avoir d’avenir. Et nous sommes bien d’accord avec Pierre Dac quand il ironise : « Se rappeler quelque chose est encore le meilleur moyen de ne pas l’oublier ». Alors rappelons-nous des origines lointaines, puis de la longue marche des connaissances et des pratiques en hygiène ! Et réfléchissons aux années à venir !

Préparé par Jacques Fabry, Joseph Hajjar, Philippe Hartemann et Pierre Parneix, ce texte résume une histoire qui a conduit à la création, en 1982, il y a quarante ans, de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H). C’est aussi le quasi-anniversaire de la revue Hygiènes, revue officielle de la SF2H, qui a l’honneur de le publier.HY_XXX_3_Rub-tete_fig1

La marche de l’hygiène : des millénaires de progrès

Comme souvent, le point de départ est une belle histoire. Asclépios régnait de tout temps sur la santé des hommes. Parmi ses nombreux enfants, il chérissait deux de ses filles : Panacée qui prenait en charge les médicaments et les soins curatifs, et sa jeune sœur, la belle Hygie, qui ne reçut en partage que l’hygiène et la promotion de la santé. Mais les choses allant leurs trains de siècles en siècles, il fallut se rendre à l’évidence. Tandis que Panacée s’épuisait à sélectionner des essences ou plantes pour guérir des maux mal définis2, Hygie marquait des points sur des choses essentielles : les soins aux enfants, l’alimentation, l’eau et l’hygiène publique, l’activité physique, la quarantaine et la maîtrise (difficile) des fléaux épidémiques, puis la prévention des infections, la vaccination et l’hygiène du travail, aujourd’hui la qualité de l’air et de l’environnement, etc. La liste est longue de ceux qui ont contribué à ce mouvement : d’Hippocrate3 à Galien, d’Avicenne à Frascator4, de Ramazzini à Sydenham, de Johann Peter Franck5 à Villermé et à tous les hygiénistes de la révolution urbaine et industrielle du XIXe siècle. Tous sont les enfants d’Hygie et l’humanité leur doit beaucoup.

Les hôpitaux doivent faire face à de multiples besoins

Parallèlement une autre histoire s’écrit, celle des hôpitaux et de leur développement. Depuis l’antiquité lointaine, des établissements « hospitaliers » existent avec des conditions hygiéniques limitées quoique souvent fondées sur des concepts religieux de pureté. Dans un texte sanscrit du IVe siècle av. JC, il est précisé qu’un hôpital doit être spacieux, bien aéré, non exposé aux bruits et aux pollutions. Son personnel doit se distinguer par sa propreté corporelle et vestimentaire. Ainsi une première préoccupation d’hygiène accompagne très tôt les « hôpitaux », à des niveaux certes variables. En Europe, du fait de l’accroissement démographique et de la circulation des pèlerins apportant des maladies redoutées comme la lèpre, on multiplie les léproseries. Puis la lèpre devenant plus rare, on les transforme en lieux d’accueil pour les pauvres et les infirmes. En 1656, Louis XIV crée les hôpitaux généraux pour le « renfermement des pauvres » et généralise ce type de constructions. Ces vastes bâtiments, aux immenses dortoirs et aux multiples ateliers, se peuplent d’une foule d’incurables et de vagabonds, de vieillards et d’enfants, malades et bien portants mélangés, ce qui ne fait qu’accroître les réticences du peuple envers les hôpitaux. Se pose rapidement la question du danger pour le voisinage, les personnels et les personnes accueillies. Un besoin d’hygiène est ressenti par nombre de contemporains. Mais que faire ?HY_XXX_3_Rub-tete_fig2

D’abord, concevoir des méthodes efficaces

Bien avant les découvertes de la bactériologie moderne, certains esprits éclairés ont une intuition comme le célèbre accoucheur Baudelocque qui écrit : « L’exemple des maladies qui exercent si souvent leurs ravages dans les hôpitaux [...] prouve à quel point l’air doit être pur et exempt de corruption6 ». Lavoisier fixe alors les règles élémentaires d’aération et en 1785, l’académie des Sciences estimera même la quantité d’air nécessaire à chaque malade, ce qui explique la diffusion des dômes dans l’architecture hospitalière. Au tournant du XIXe, l’air est le bouc émissaire de la contagion !

Or malgré ces mesures architecturales, les infections persistent et la « pourriture d’hôpital » continue à tuer. Les débats sont vifs entre les « anti-contagiosistes » (avec des personnalités comme Broussais ou Laennec) et les « contagiosistes », une querelle qui va durer un demi-siècle. Les arguments scientifiques sont faibles et l’idéologie prend le dessus. Il faut attendre les travaux des précurseurs comme Semmelweis, puis ceux de Pasteur et sa démonstration éclatante contre la théorie de la génération spontanée, pour que les théories alternatives (celle des miasmes notamment) soient oubliées.

Il faut rendre hommage à l’intuition géniale d’Ignaz Semmelweis (1818-1865) qui met au point et surtout valide scientifiquement la pratique de l’hygiène manuelle. Par lui et quelques autres, le rôle des mains comme vecteur de la transmission des infections est établi, sinon encore accepté par tous. La seconde moitié du XIXe siècle, avec la naissance de la bactériologie et les progrès de l’épidémiologie, verra une accélération des connaissances et des pratiques d’hygiène. Citons, parmi bien d’autres, Florence Nightingale (1820-1910) et ses nombreuses initiatives permettant de rendre les établissements militaires plus sûrs ; Joseph Lister (1827-1912) et sa méthode antiseptique en chirurgie ; Louis Pasteur (1822-1895) pour tant de choses et qui proclame en 1874 devant l’académie des Sciences sa phrase fameuse : « Si j’avais l’honneur d’être chirurgien, jamais je n’introduirais dans le corps de l’homme un instrument quelconque sans l’avoir fait passer dans l’eau bouillante ou mieux encore dans la flamme. » Citons aussi Robert Koch (1843-1910) qui démontre l’efficacité de l’air chaud et de la vapeur comme agent stérilisant ; Louis Félix Terrier (1837-1908) et sa méthode dite « asepsie » consistant à éviter d’apporter les germes par les mains ou les instruments du chirurgien ; ou encore William Halsted (1852-1922) qui propose l’utilisation des gants en caoutchouc lors des opérations. Les masques viendront bien plus tard. Ainsi jusqu’au milieu du XXe siècle, des méthodes d’hygiène voient le jour et se perfectionnent. Il faut donc les mettre en œuvre. Ce sera à l’hygiéniste hospitalier de le faire et d’accompagner ainsi le formidable développement des techniques médicales et surtout chirurgicales de leur temps.HY_XXX_3_Rub-tete_fig3

Créer une fonction d’hygiéniste hospitalier

En France comme dans d’autres pays, c’est après la Seconde Guerre mondiale que l’hygiéniste (maintenant l’équipe d’hygiène) trouve progressivement sa place à l’hôpital. Un événement a mené cette évolution : l’apparition rapide de la résistance aux antibiotiques. Entre les années 1940 et 1960, de nombreuses publications rapportent une proportion croissante de germes résistants. Citons seulement Mary Barber qui, dès 1946 à Londres, identifie 14% de souches « hospitalières » de S. aureus qui résistent à la pénicilline, une proportion qui monte à 37% en 1947 et 59% en 1948. Des évolutions similaires sont observées pour d’autres micro-organismes. En décembre 1945, recevant son prix Nobel pour la découverte de la pénicilline, Sir John Ambrose Fleming déclarait : « Le temps viendra où la pénicilline pourra être achetée par n’importe qui dans un magasin. Alors il y aura danger qu’un ignorant puisse s’en auto-administrer une trop faible dose et, en exposant ses microbes à des quantités non-létales de l’antibiotique, les rendre résistants. » Quelle magnifique prophétie ! L’utilisation des sulfamides et des antibiotiques devient très large, presque systématique en chirurgie. Il s’ensuivra une véritable pandémie d’infections hospitalières staphylococciques : elle sonne le glas des espoirs démesurés qui ont succédé à l’introduction des antibiotiques. C’est d’abord à partir de cette expérience malheureuse que s’est imposée l’utilité d’une approche permanente, programmée et systématique de l’hygiène hospitalière en Grande Bretagne, puis aux États-Unis, en Allemagne et en France.

Mentionnons particulièrement le rôle du Medical Research Council (MRC) britannique. Il a pris les premières initiatives et recommande dès les années de guerre que des médecins plein-temps soient affectés à la supervision des activités de contrôle des infections principalement en chirurgie. Ce sont les control of infection officers, renommés ultérieurement infection control doctors (ICD). En 1944, le MRC avance l’idée d’un comité de contrôle des infections avec une large représentation. Dix années plus tard, est créée une nouvelle fonction, une infection control sister, infirmière travaillant avec l’lCD : le premier recrutement date de 1959, quinze ans environ avant le premier recrutement équivalent en France. Avec quelques années de décalage, une approche formalisée comparable est mise en œuvre aux États-Unis par l’American Hospital Association, la Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations (JCAHO) et les Centers for Disease Control and Prevention (CDC).

Une forme d’émulation internationale est alors à l’œuvre. En France, les plaidoyers pour la mise en place d’une fonction « hygiène » dans les hôpitaux ne manquent pas, avec des personnalités fortes parmi lesquelles Maurice Maisonnet (1926-2006) à Rouen et Raymond Vilain (1921-1989) à Paris. Retenons quelques dates :

  • 1965 : à l’occasion du 44e congrès d’hygiène, le lyonnais Roger Sohier (1903-1991), son président, dresse le portrait de l’hygiéniste hospitalier : « L’hygiéniste est bien celui qui peut le plus rapidement et le plus efficacement intervenir utilement dans la mesure où il connaît l’étiologie et l’épidémiologie de ces infections et surinfections, les mécanismes de leur transmission, les éléments divers qui les favorisent, les méthodes de protection générales, la technique sanitaire, les procédés d’immunisation, sans perdre de vue l’intervention des facteurs sociaux, économiques, administratifs ou légaux. »
  • 1966 : le premier colloque européen sur l’hospitalisme7, présidé par le neurologue Pierre Mollaret (1898-1987), synthétise les connaissances du moment.
  • 1971 : Raymond Vilain, défenseur historique de l’hygiène en milieu chirurgical et célèbre pour son humour8, publie un plaidoyer pour la surveillance des infections hospitalières.
  • 1972 : à l’initiative de Maurice Maisonnet, le Conseil de l’Europe invite les États membres à promouvoir l’hygiène hospitalière, à créer des comités de lutte contre les infections, des services spécialisés avec médecins et infirmières spécialisés9. Les principes de la surveillance et de la standardisation des pratiques sont posés.
  • 1973 : le gouvernement français recommande par voie de circulaire10 la création de Comités de lutte contre les infections (CLI) avec des responsabilités définies, notamment le traitement des déclarations et la réalisation pour chaque infection d’une enquête. Cette circulaire a été plus ou moins suivie d’effet selon les établissements du fait de l’échec total de la déclaration.

Cette initiative a eu au moins le mérite de lancer le développement d’équipes spécialisées avec le soutien des directions hospitalières, à Rouen, Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Rennes… et à l’Assistance Publique de Paris. En dépit de leurs moyens limités et de l’absence d’un programme national très lisible, ces services jouent un rôle de pionniers pour la mise en place de pratiques essentielles de sécurité dans les hôpitaux universitaires, et pour la formation des personnels.

Les conditions étaient réunies pour fédérer ces initiatives locales par des contacts plus fréquents d’abord dans le cadre de l’Association internationale de recherche en hygiène hospitalière (AIRHH) et de ses journées de formation, puis d’un Groupement français des hygiénistes hospitaliers réunissant entre autres les Prs. Fréour et Serisé de Bordeaux, Gauberti de Caen, Sepetjan de Lyon, Levy de Montpellier, Foliguet de Nancy, Roussel de Paris, Zourbas de Rennes, Lavillaureix de Strasbourg, et tous leurs collaborateurs. Ce groupement allait donner naissance en 1982 à la Société française d’hygiène hospitalière.HY_XXX_3_Rub-tete_fig4HY_XXX_3_Rub-tete_fig5

1982 : Création de la SFHH/SF2H et soutien à une politique publique d’hygiène

Créer une société savante est un engagement. C’est d’abord un engagement scientifique : dire ce qui semble acquis et aussi ce qui ne l’est pas, pour « promouvoir la sécurité et la qualité des soins, l’épidémiologie, la prévention et la lutte contre les infections associées aux soins dont les infections nosocomiales ; la sécurité et la vigilance sanitaires ; l’évaluation ; la certification ; la gestion des risques dans le domaine des infections associées aux soins » en organisant « des réunions scientifiques, visant à analyser et améliorer la prévention des infections associées aux soins ; [] des groupes de travail pour émettre des avis et recommandations, et publier tous documents relatifs à ces domaines ; [] et toute autre action qui paraît nécessaire et en particulier toute action de formation, d’information, d’éducation, d’enseignement et de recherche. » 11

C’est aussi un engagement moral : faire silence sur les inévitables rivalités personnelles pour opérer des synthèses positives et consensuelles. C’est enfin un engagement social : contribuer au mieux à la définition d’une politique publique claire, ce qui avait manqué dans les années 1960-1970. Ce dernier point est essentiel : la SFHH, ensuite renommée SF2H, aura été au rendez-vous des responsables sanitaires, des professionnels de santé et des patients pour les accompagner et guider leurs actions. Une activité essentielle sachant que la décennie 90 a été celle de scandales sanitaires retentissants (sang contaminé, encéphalopathie spongiforme bovine et infections post-opératoires à Mycobacterium xenopi) qui vont ébranler l’opinion publique et conduire le pouvoir politique à consolider les structures de lutte contre les infections nosocomiales (IN). Retenons quelques dates-clés :

  • 1988 : soutien à l’élaboration d’un décret instituant les Comités de lutte contre les IN (Clin) qui succèdent aux CLI, et redéfinissant leur rôle.
  • 1992 : soutien à la préparation des 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales, premier document global élaboré sous l’égide du Conseil supérieur d’hygiène publique de France (CSHPF) pour « servir de guide et signaler les actions prioritaires à mettre en place ». À sa rédaction par un groupe multidisciplinaire participent des hygiénistes membres de la Société.
  • Entre 1992 et 2000 : soutien à la structuration de la politique publique au niveau national et régional. Seront créés respectivement le Comité technique national des IN et les centres de coordination de la lutte contre les IN (appuyés par leurs antennes régionales). Dans le même temps, par voie de circulaires, les établissements de santé ont l’obligation de se doter d’une équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) qui devient le bras armé du Clin. De premiers ratios de personnels sont établis.
  • Ces actions se réfèrent au premier programme national de lutte contre les IN de 1995 qui comporte différents objectifs, parmi lesquels la diffusion de recommandations nationales.
  • 1998 : diffusion des importantes Recommandations d’isolement septique en établissement de soin12, première d’une longue série de recommandations de la SFHH/SF2H.
  • 2000 : à l’Institut Pasteur de Paris, la première conférence de consensus de la Société sur le thème de la prévention du risque aspergillaire chez les patients immunodéprimés. Son organisation et son déroulement sont conformes aux règles méthodologiques préconisées par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes).
  • 2004 : seconde Conférence de consensus dont le thème est la gestion pré-opératoire du risque infectieux. Comme lors de la précédente, aussi bien pour le comité d’organisation que pour les experts et membres du jury, la SFHH associe les différentes sociétés savantes impliquées dans la prévention des infections du site opératoire. Ce partenariat large, outre sa justification scientifique indéniable, a permis d’asseoir la SFHH au sein des institutions nationales officielles, de contribuer aux travaux des autres sociétés savantes et, par la suite, de nouer d’étroites relations au niveau international.
  • 2010 : après un cheminement parallèle et une étroite collaboration sur le terrain, la SFHH et la Société des infirmiers et infirmières en hygiène de France (SIIHHF) décide de rassembler leurs forces au sein d’une seule et même structure, la SF2H, une Société française d’hygiène hospitalière, plus intégrative et pluri-professionnelle. Dans le respect du rôle et des missions de chacun, la nouvelle société fédère compétences et savoir-faire pour entreprendre un travail commun avec pour objectif la maîtrise du risque infectieux et l’amélioration des pratiques professionnelles.

Cet élan donné par la SFHH/SF2H, au travers de sa commission scientifique, repose sur l’animation de nombreux groupes de travail constitués à la fois de chercheurs et de professionnels de terrain. Parce que les mesures à mettre en œuvre, proposées par les experts rédacteurs (et objet d’une lecture critique par les professionnels concernés), doivent s’appuyer sur les preuves scientifiques elles-mêmes évolutives, la SFHH/SF2H adoptera les conférences formalisées d’experts ou les recommandations de pratique clinique en conformité avec les méthodologies de la Haute Autorité de santé (HAS). Pour répondre à un des défis du début du XXIe siècle, la SF2H publie son guide sur l’hygiène des mains, dont la mesure phare est la friction hydro-alcoolique.

Reconnaissant le niveau scientifique élevé des productions de la SFHH/SF2H, les autorités sanitaires passent commande de nombreux guides comme ceux de la prévention de la transmission croisée (contact en 2009, air ou gouttelettes en 2013). En se basant sur les priorités définies par son conseil scientifique et validées en conseil d’administration, la SF2H produit annuellement un à deux guides de recommandations de bonnes pratiques pour améliorer la sécurité des soins.

La SF2H fête cette année ses 40 ans. Elle peut être fière de son parcours et de sa « quarantaine épanouie ». Toutes celles et ceux qui ont succédé aux fondateurs se sont investis, malgré les embûches inhérentes à la gestion humaine et financière de toute société y compris savante, pour pérenniser les missions initiales (étude des problèmes d’hygiène hospitalière, organisation de réunions scientifiques, publication de documents pour analyser et améliorer la prévention, conduite d’actions de formation, d’information et de recherche) et en développer de nouvelles en nouant d’importants liens sur le plan international, en intégrant dans ses préoccupations le développement durable et les technologies actuelles de communication. Surtout, elle continue à se préoccuper de la meilleure façon d’aller de l’avant.

1993 : création de la revue Hygiènes

Préparé en 1992 à l’initiative de Jacques Fabry et publié dès 1993, le premier numéro de la revue Hygiènes s’impose comme la revue des hygiénistes. En défense d’une double exigence de qualité scientifique et de pertinence opérationnelle, elle allait évidemment devenir l’organe officiel de diffusion de la SFHH/SF2H en intégrant, de plus, le bulletin périodique présentant les activités de la Société. Revue professionnelle en français, « aux dimensions scientifique, technique et humaine, née au moment où les établissements de santé s’engageaient dans la lutte contre les IN », elle accompagne encore aujourd’hui la diffusion des expériences, informations et recommandations dans le domaine de l’hygiène hospitalière. Sous format papier ou électronique, la ligne éditoriale comporte six numéros annuels, dont un numéro thématique et un ou plusieurs guides de recommandations de la SF2H. Les articles, quelle que soit la forme rédactionnelle choisie par les auteurs (article original, expérience & pratique, revue générale et mise au point, lettre à la rédaction), sont publiés après une « rigoureuse sélection par des relecteurs hautement qualifiés ». Pour ses bientôt 30 ans, la revue Hygiènes peut se réjouir du chemin parcouru et, malgré la situation délicate de la presse médicale, elle a su s’adapter et évoluer pour rester dans la course grâce au dynamisme de sa petite équipe.HY_XXX_3_Rub-tete_fig6

Les années 2000 : l’âge adulte de l’hygiène hospitalière

Alors comment aller de l’avant désormais dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale de prévention des infections et de l’antibiorésistance 2022-2025. Tout d’abord en portant un regard bienveillant mais lucide sur l’état des forces en présence.

L’état des forces aujourd’hui

Au cours de ses 40 ans, la SF2H a fait progresser son expertise et les métiers qui la composent pour s’adapter à l’évolution des méthodes et des connaissances et capitaliser l’expertise développée au cours de ces décennies par ses membres. Tout ce cheminement s’est matérialisé en 2018 au sein du premier référentiel métier13, basé sur la notion de savoir agir en situation qui est propre à chaque expertise, mais encore plus à la nôtre qui ne peut être efficace que via l’impact qu’elle a sur les autres et qui doit tenir impérativement compte du contexte du système de santé. Ce travail a permis de mieux comprendre et faire connaître ce que nous faisions, qui nous étions et les connaissances et les savoir-faire nécessaires à notre exercice. Ce référentiel constitue un socle fondateur qui pourra et devra évoluer au fil des décennies à venir en gardant la mémoire de nos actions et l’ambition de notre finalité au service de la qualité et de la sécurité des soins.

Avoir des professionnels de haut niveau d’expertise est une nécessité, avec un corollaire important : des effectifs suffisants ! Nos ratios de personnel étaient déjà parmi les plus modestes. Nous les avons vus fondre au fil du temps faute d’une volonté ferme des autorités et d’un système de financement de la prévention lisible par les décideurs locaux. C’est le constat de l’enquête en cours sur les effectifs des EOH, réalisée à la demande du ministère de la Santé. Nos ratios ont été plus que mis à mal au cours de ces cinq dernières années : on dénombre à peine un établissement sur cinq en conformité complète à ce jour. La stratégie nationale donne une impulsion positive en confiant à la SF2H la révision des ambitions nationales et des missions des EOH et équipes mobiles d’hygiène (EMH). L’ambition affichée dans le premier rapport de saisine est de faire progresser les effectifs des EOH de 25% par rapport au ratio actuel d’ici 2025 et d’asseoir un modèle pertinent pour les EMH. Toutefois, ces ambitions n’auront de sens et d’efficacité que si elles sont assorties d’un système de suivi, de contrôle et d’exigence de la part des autorités sanitaires nationales et régionales. Car sans pilotage, le véhicule, quel que soit le chemin qu’il emprunte, arrive rarement à bon port. L’abandon du recueil du bilan standardisé annuel de lutte contre les IN, c’est l’abandon d’un pilotage qu’il faut désormais restaurer en espérant que le nouveau comité de suivi de la stratégie nationale en sera le vecteur approprié. C’est dire si le chemin vers les nouveaux objectifs 2025 est ambitieux. En tout cas il ne souffrira pas de délai dans les décisions.

L’effet Covid-19 et la suite

Évidemment, les équipes d’hygiène et de prévention du risque infectieux souffrent au même titre que l’ensemble du système de santé de la lente paupérisation des esprits et des moyens. La Covid-19, révélateur de crise, l’a porté au grand jour : sous-effectif, épuisement, démotivation sont le lot de beaucoup tant dans le secteur sanitaire que médico-social. Le courage, le dévouement, l’expertise et le sens du devoir ont porté chacun, mais la prise de conscience associée a aussi poussé beaucoup de professionnels à délaisser des métiers qui avaient perdu pour eux leur sens. Paradoxalement c’est au moment où la santé se voit enfin consacrer les moyens financiers dont elle a tant été privée que l’on ressent encore plus cruellement les maux de tous ordres accumulés depuis trop longtemps. Nos professions n’y ont pas échappé, en particulier côté épuisement professionnel. Comme toujours chacun a tout donné et au-delà.

Pour autant, la crise Covid-19 a montré que la survie de demain passe par une amélioration significative de la culture de prévention du risque infectieux chez les professionnels mais aussi dans la population générale. Ce sont des ambitions clairement affichées dans la nouvelle stratégie nationale et que nous avons l’opportunité de porter et de faire aboutir. Le défi est délicat mais passionnant et possible. Des leçons de la crise Covid-19 ont été tirées par les plus hauts décideurs politiques et d’autres sont forcément à venir dans les prochains mois. Les trois années qui s’ouvrent constituent donc une opportunité réelle. Et comme nous l’avons écrit avec Didier Pittet : « Le pays, et son continent, qui aura le plus de clairvoyance, d’ambition et de courage pour tirer les leçons de cette crise sans précédent sera en avance sur les autres le jour venu. La France, et l’Europe, a les capacités de le faire, l’histoire en donnera le verdict14. »HY_XXX_3_Rub-tete_fig7

Priorité à la formation professionnelle

Beaucoup de choses nous échappent dans le processus décisionnel à venir mais nous avons la capacité et la volonté de faire entendre nos voix dans ce combat pour préserver l’avenir. Il faut pour cela d’abord identifier, attirer et former les professionnels de demain qui poursuivront nos actions de prévention du risque infectieux. Comme toujours rien ne se fera sans un engagement complet de nos forces vers cette finalité. Beaucoup de chantiers ont été engagés avec l’obtention pour les médecins et pharmaciens de la formation spécialisée transversale (FST) hygiène, prévention de l’infection, résistances15. Les premiers internes sont en cours de formation mais les effectifs sont évidemment bien inférieurs aux besoins. Notre spécialité doit rester ouverte et multidisciplinaire et la SF2H travaille avec le ministère de la Santé et le centre national de gestion afin que les conditions de recrutement des praticiens hospitaliers de notre discipline ne deviennent pas trop restrictives à un moment où on manque le plus d’effectifs. Côté infirmier, notre discipline longtemps épargnée se voit confrontée à des difficultés de recrutement tant les manques sont aigus dans tous les secteurs. Là encore, la vision à court terme prévaut souvent en refusant des affectations à des professionnels désireux de nous rejoindre faute d’aptitude à les remplacer sur leur poste d’origine. Évidemment, la SF2H a porté d’emblée son ambition de s’intégrer intelligemment dans le dispositif naissant des infirmiers de pratique avancée. Dès 2019, la SF2H a posé les bases de cette future pratique dans notre discipline avec un document très abouti16. Là où on pouvait penser trouver un boulevard pour faire progresser la prévention du risque infectieux en lui donnant une dimension nouvelle, nous nous sommes surtout heurtés à des obstacles d’incompréhension, de corporatisme voire de frilosité. Pour autant, nous ne céderons rien à nos ambitions de contribuer à la rénovation du système de santé publique de notre pays qui devra se matérialiser à un moment.

L’avenir est dans nos mains

Plus que jamais l’avenir appartient aux générations montantes et la SF2H, à l’initiative de nos plus jeunes collègues, a créé en novembre 2021 une nouvelle commission permanente de son conseil d’administration appelée Commission jeunes JePPRI, JePPRI pour jeunes professionnels de la prévention du risque infectieux. Inspirée de ce qu’ont réussi avec succès les infectiologues, cette dynamique nécessaire est porteuse d’espoir et sa visibilité ira croissant au fil des mois à venir. Communication, mobilité y compris internationale, valorisation et promotion de nos métiers sont autant d’objectifs de cette commission avec une organisation inédite au travers d’un maillage territorial de correspondants régionaux.

La lutte contre les infections nous rappelle la nécessité d’engager des combats sur la durée pour les gagner. Le plus bel exemple reste la désinfection des sondes d’échographie endocavitaire17 où il nous a fallu dix ans d’action aux côtés des associations de patients pour arriver, au terme d’un combat épique qui mériterait un livre à lui seul, à faire admettre nos recommandations comme la règle. Améliorer la sécurité des soins apportés aux femmes et réduire le risque de cancer HPV18 induits, valaient évidemment cet engagement et la satisfaction associée n’en est que plus élevée. Ce fut une première impulsion à un mouvement bien plus large et ambitieux qui aboutira à la publication en fin d’année 2022 du nouveau guide de désinfection des dispositifs médicaux en remplacement de l’opus national de 1998. Presque un quart de siècle déjà…

Ce guide ouvre la porte à de nouveaux chantiers scientifiques passionnants, à commencer par la refonte du guide prévention de la transmission des infections par voie respiratoire. Forte de l’analyse de la crise Covid-19 qui a montré nos grandes forces, mais aussi parfois nos limites, autour de la gestion d’un virus émergeant, une approche nouvelle de la question s’imposait. Elle sera l’occasion d’une collaboration très multidisciplinaire et internationale inédite qui se matérialisera lors du congrès de Lille 2023.

La SF2H est une société savante dont la vocation reste la production scientifique et sa valorisation. Durant la crise Covid-19, la SF2H a publié plusieurs articles dans des revues internationales pour asseoir sa position et sa vision, ce qui fut précieux. Mais on sait que publier dans ces revues reste difficile pour les pays non anglophones. C’est pourquoi la SF2H et la revue Hygiènes travaillent depuis plusieurs années à un modèle de revue internationale plus autonome mais de même niveau d’exigence. Fort d’une coopération de longue date avec nos collègues allemands, qui a démarré dès la création de la société et ne s’est jamais arrêtée, un nouveau projet est né en 2022. En effet la revue allemande GMS Hygiene and Infection Control dans laquelle nous étions déjà impliqués va se transformer en revue franco-allemande, avec une parité dans le comité éditorial, et une vision élargie vers la sécurité des soins. C’est encore le fruit d’un long cheminement et un signal fort du dynamisme européen dans ce domaine. Très longue vie à cette nouvelle revue que nous allons porter avec enthousiasme.

Parmi les points très positifs pour l’avenir de notre discipline, il y a aussi le dynamisme industriel qui lui est associé. Jamais autant d’industriels ne s’étaient investis dans la prévention du risque infectieux avec une vraie dynamique associée de recherche et développement. Le progrès dans toutes ses formes, à commencer par technologique, est indissociable de notre futur et sera aussi un des moteurs de la rénovation de notre image. Lors du vote organisé par le JePPRI vous avez opté pour les termes « prévention du risque infectieux » pour définir notre identité de demain et ils seront désormais gravés dans le logo de la SF2H.

Les quarante années à venir seront tout aussi passionnantes que celles qui se sont écoulées avec autant d’engagement et, souhaitons-le, plus de succès encore.

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Notes :

1- « Parce qu'un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » (Maréchal Foch).
2- Molière en fit son miel.
3- Auteur de Airs, eaux et lieux entre autres ouvrages fondamentaux.
4- Visionnaire, il affirme l’existence de Seminaria contagiosis en tant que micro-organisme infectant.
5- Auteur de Medicinische Polizey et initiateur de l’hygiène publique en Allemagne.
6- Baudelocque JL. L’Art des accouchements. 1781.
7- Paris. Maison de la chimie. 2-3 décembre 1966. 474 p.
8- « Le seul plein-temps à l’hôpital, c’est le staphylocoque » ; « Avant Pasteur, les médecins se lavaient les mains après les soins. Après Pasteur, il se lavaient les mains avant. Depuis l’arrivée des antibiotiques, il ne se lavent les mains ni avant ni après » ; « L’antibiotique est un tranquillisant pour le chirurgien » ; « On peut mettre ce que l’on veut sur une escarre, sauf le malade ! »
9- Recommandation n° R(84)20 du comité des ministres aux États membres sur la prévention des infections hospitalières (adoptée par le comité des ministres le 25 octobre 1984, lors de la 376e réunion des délégués).
10- Circulaire du 18 octobre 1973 relative à la prévention des infections hospitalières.
11- Statuts de la SF2H accessibles à : https://www.sf2h.net/wp-content/uploads/2016/04/sf2h_statuts-MAJ-Paris-2014.pdf (Consulté le 20-04-2022).
12- Comité technique national des infections nosocomiales, Société française d’hygiène hospitalière. Recommandations d’isolement septique en établissement de soin. Paris : Ministère de l’emploi et de la solidarité, 1998. 48 p. Accessible à : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/recommandations_isolement_septique.pdf (Consulté le 20-04-2022).
13- Accessible à : https://www.sf2h.net/publications/referentiel-metier-specialistes-en-hygiene-prevention-controle-de-linfection-en-milieu-de-soins-mars-2018 (Consulté le 20-04-2022).
14- Parneix P, Pittet D. Regard sur la gestion de la crise. ADSP 2021;116:26-28. Accessible à : https://www.cairn.info/revue-actualite-et-dossier-en-sante-publique-2021-4-page-26.htm (Consulté le 13-05-2022).
15- Document accessible à : https://cpias-ile-de-france.fr/formation/fst.php (Consulté le 20-04-2022).
16- Document accessible à : https://www.sf2h.net/publications/infirmier-en-pratique-avancee-et-prevention-et-controle-de-linfection-edition-2019 (Consulté le 20-04-2022).
17- Accessible à : https://sf2h.net/wp-content/uploads/2019/04/Preconisations_Mission_Nationale_Sonde-Endocavitaire_Vallid%C3%A9es_Mars_2019.pdf (Consulté le 20-04-2022).
18- Virus du papillome humain.