En direct de… Mission nationale Prévention de l’antibiorésistance et des infections associées aux soins en établissements médico-sociaux et en soins de ville (Primo) 2023-2028 : trois volets pour deux secteurs

gabriel birgand

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Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins Pays de la Loire – Centre hospitalier universitaire de Nantes – Bâtiment Le Tourville – 5, rue Professeur Boquien – 44093 Nantes – France
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l’équipe de la mission nationale primo 2023-2028

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Gabriel Birgand (centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins [CPias] Pays de la Loire), Willy Boutfol (centre régional en antibiothérapie [CRAtb] Pays de la Loire), Thomas Coeffic (CPias Pays de la Loire), Hélène Cormier (CRAtb Pays de la Loire), Barbara Emeric (CPias Pays de la Loire), Elise Fiaux (CRAtb Normandie), Marine Giard (CPias Auvergne-Rhône-Alpes), François Haupais (CRAtb Normandie), Pauline Launay (CRAtb Normandie), Olivier Lemenand (CPias Pays de la Loire), Aurélie Marquet (CRAtb Pays de la Loire), Léa Messidor (CRAtb Normandie), Charlotte Moreau (CPias Auvergne-Rhône-Alpes), Emmanuel Piednoir (CRAtb Normandie), Sonia Thibaut-Jovelin (CPias Pays de la Loire), Pascal Thibon (CRAtb Normandie), Anne Savey (CPias Auvergne-Rhône-Alpes), en collaboration avec Antibioclic : Tristan Delory, Pauline Jeanmougin, Josselin Le Bel et Marie-Claire Parriault.
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Primo, qui sommes-nous ?

La mission nationale Prévention de l’antibiorésistance et des infections associées aux soins en établissements médico-sociaux et en soins de ville (Primo) est une des cinq missions nationales déléguées par Santé publique France (SpF) suite à un appel à projets destiné aux centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) en 2017. Depuis 2018, la mission Primo a, dans son champ d’action, la prévention et le contrôle des infections associées aux soins (PCI) et la prévention et la surveillance de l’antibiorésistance dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) et pour les soins de ville. Durant ces cinq années, l’équipe pluridisciplinaire de la mission (coordonnée par le CPias Pays de la Loire et en collaboration avec le CPias Grand Est) a élaboré et développé des outils d’aide pour les différents professionnels de santé, effectué des surveillances et accompagné les professionnels, notamment pendant la crise sanitaire. En octobre 2023, la nouvelle mandature de la mission Primo a débuté, accompagnée de plusieurs nouveautés : l’intégration d’un volet spécifique « Bon usage des antibiotiques » (BUA) en complément des deux volets déjà existants (PCI et antibiorésistance) et l’implication de nouveaux professionnels provenant de différentes régions (CPias Pays de la Loire et Auvergne-Rhône-Alpes, centres régionaux en antibiothérapie [CRAtb] Normandie et Pays de la Loire, Les amis d’Antibioclic1) (Figure 1). Cette mission coordonne diverses actions relatives à ces trois volets dans le but d’améliorer la qualité des soins et de réduire les risques d’infection associée aux soins (IAS) et l’antibiorésistance en France.HY_XXXII_2_En-direct_fig1

Volet Prévention et contrôle de l’infection

De 2018 à 2023, de nombreuses actions de PCI ont été engagées. La surveillance de la consommation de produits hydro-alcooliques (PHA) en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) a permis d’estimer le nombre de frictions réalisées par jour de présence d’un résident. D’abord situées entre 1 et 2 frictions, les médianes ont grimpé à 3 durant la pandémie de Covid-192. Malheureusement, il s’en est suivi une diminution justifiant, plus que jamais, les efforts à produire pour l’hygiène des mains. L’outil Promotion et évaluation de l’hygiène des mains en établissement médico-social (Premms) permet aux ESMS d’auto-évaluer leur stratégie interne d’hygiène des mains. Une multitude d’autres outils d’aide aux professionnels des ESMS et de ville ont été produits pour faire face à la pandémie de Covid-19. Par exemple, la check-list de gestion d’épidémie Epid’ESMS, bâtie en collaboration avec huit CPias, fournit les clés de la maîtrise des infections respiratoires aiguës (IRA) et gastro-entérites aiguës entre autres. De nombreuses fiches mémo ont été développées de manière à donner accès de manière simple et visuelle à des messages essentiels de prévention. Ainsi ont été produits des affichettes et vidéos relatives aux accidents d’exposition au sang et destinées aux infirmiers libéraux, un flyer sur les bactéries multirésistantes et les bactéries hautement résistantes émergentes aux antibiotiques pour les patients porteurs, et des fiches mémo à destination des aides à domicile, des kinésithérapeutes, des pédicures-podologues et des ambulanciers. Ces initiatives se fondaient sur des enquêtes menées auprès des établissements médico-sociaux et des professionnels de santé libéraux. Forte de cette expérience initiale, Primo inscrira l’action future dans la même lignée tout en explorant de nouveaux secteurs de soins (secteur du handicap), en poursuivant les actions destinées aux professionnels libéraux et en partageant la connaissance et les retours d’expérience grâce à de nouvelles méthodes de communication.

Actions prioritaires pour 2024-2025

Parmi les actions prioritaires des prochaines années en ESMS figurent des évolutions de la surveillance des consommations de PHA, notamment l’extension aux ESMS autres que les Ehpad, et l’apport de clés d’amélioration des pratiques. Des réflexions sont engagées pour la mise en place d’indicateurs nationaux de PCI dans les ESMS par les équipes mobiles d’hygiène. Les collaborations avec la mission nationale de surveillance et prévention des infections associées aux dispositifs invasifs (Spiadi) s’orienteront vers la surveillance des IAS en soins de ville et vers des actions de prévention d’infections sur dispositif invasif dans les deux secteurs. Enfin, les soins de ville seront approchés par le biais des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) avec des programmes clés en main abordant la PCI et le BUA en pratique libérale.

Volet Bon usage des antibiotiques

Le BUA fait partie des missions de Primo depuis le 1er octobre 2023. Les actions s’inscriront dans la continuité d’initiatives mises en place sur le sujet lors de la précédente mandature, mais avec des ambitions nouvelles. La volonté qui anime les CRAtb Normandie et Pays de la Loire est de travailler en étroite collaboration avec les CPias Pays de la Loire et Auvergne-Rhône-Alpes. Ainsi, cinq grands thèmes seront abordés : développer des indicateurs de délivrance et de prescription d’antibiotiques ainsi que des actions de pratiques professionnelles pour la ville et l’hôpital, contribuer au développement des actions de formation et de sensibilisation sur le BUA, développer une approche de sciences humaines et sociales (SHS) pour l’identification des freins à la mise en place des actions de BUA, assurer l’expertise et le conseil, et développer des actions en lien avec la médecine vétérinaire et la vaccination. Sept actions sont prioritaires : collaborer avec SpF, la Caisse nationale d’assurance maladie et les directions régionales du service médical des différentes régions pour définir les indicateurs de BUA les plus pertinents à produire pour la ville et les Ehpad ; collaborer avec l’équipe d’Antibioclic ; participer à la diffusion, la promotion et la mise à disposition d’outils de BUA aux professionnels de santé de ville et d’ESMS ; analyser les pratiques de prescription des antibiotiques ; analyser les attentes des usagers en matière de prescription d’antibiotiques ; réaliser un état des lieux national des actions réalisées en région ; et communiquer régulièrement auprès des régions sur les actions menées, notamment en partenariat avec le réseau des CRAtb. Outre les médecins, nous travaillons en pluriprofessionnalité comme en témoignent les actions menées en collaboration étroite avec les pharmaciens ou les dentistes. De plus, nous partageons régulièrement avec de nombreux acteurs dont le réseau des CRAtb et la Société de pathologie infectieuse de langue française. Enfin, une des principales nouveautés pour le secteur de la ville et qui s’articule avec le projet Oraneat3 déjà existant pour les Ehpad, est l’approche SHS du BUA. Une revue de la littérature selon la méthode Prisma4 est lancée, qui porte sur les facteurs psychosociaux associés au mésusage tant pour le professionnel de santé que pour l’usager. L’objectif, à terme, est de pouvoir proposer des mesures d’implémentation associées à des outils d’évaluation afin d’en mesurer l’efficacité.

Volet Surveillance de l’antibiorésistance

La mission Primo collecte et exploite les données de résistance aux antibiotiques fournies par un réseau de groupements de laboratoires de biologie médicale de ville (LBM). Entre 2018 et 2022, le nombre de LBM participant à la surveillance est passé de 742 à 1 773, soit plus de 40% d’entre eux. Depuis 2019, toutes les régions métropolitaines ainsi que des régions ultramarines comme la Guyane, la Réunion et les Îles de Guadeloupe sont couvertes par la surveillance (Figure 2). Les LBM transmettent les antibiogrammes effectués en routine sur les bactéries isolées des prélèvements à visée diagnostique réalisés sur les patients vivant à domicile et les résidents en Ehpad. La mission nationale de surveillance et prévention de l’antibiorésistance en établissement de santé (Spares) complète les données en fournissant les antibiogrammes réalisés pour les résidents des Ehpad des établissements de santé. Les espèces étudiées par la mission Primo sont les entérobactéries (E. coli, K. pneumoniae, Enterobacter cloacae complex et autres Klebsiella spp.) ainsi que Staphylococcus aureus.HY_XXXII_2_En-direct_fig2

Principaux résultats

Entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2022, 2 784 579 anti­biogrammes ont été analysés par la mission Primo. La grande majorité des antibiogrammes (98,8%) était réalisée sur des isolats urinaires, avec une prépondérance de l’espèce E. coli qui en représentait 85%. Pour cette espèce, il a été observé en soins de ville une stabilisation de la proportion de souches résistantes aux céphalosporines de troisième génération (C3G), variant entre 3,2% et 3,4% entre 2018 et 2022, tandis qu’en Ehpad, la tendance était à la baisse (9,1% en 2018 vs 8,5% en 2022). La production de bêtalactamases à spectre élargi était le principal mécanisme de résistance aux C3G au sein de cette espèce. La proportion des isolats urinaires résistants aux fluoroquinolones pour l’espèce E. coli augmentait en soins de ville (11,0% en 2018 vs 12,6% en 2022) alors qu’elle tendait à diminuer en Ehpad (19,3% vs 18,7%). Les molécules de première ligne dans les infections urinaires non compliquées telles que la fosfomycine ou la nitrofurantoïne restaient efficaces sur les souches urinaires d’E. coli dans plus de 98% des cas. Toutes les données collectées par la mission sont mises à jour quotidiennement sur le site internet Réseau de prévention des infections associées aux soins (Répias) Primo5.

Limites et biais

La mission ne recueille pas l’intégralité des antibiogrammes réalisés au niveau national et il existe des variations de participation entre les régions (de 23,9% de participation des LBM en Hauts-de-France à 58,6% dans le Grand Est, et une absence de participation dans certains territoires ultramarins comme la Martinique ou Mayotte). La participation des LBM est volontaire, ce qui fait peser un risque de potentiel désengagement d’une année sur l’autre. Néanmoins, la couverture territoriale a progressé régulièrement durant le premier mandat et la méthodologie est simple et facilement adoptée par les biologistes participants.

Collaborations

La surveillance de la résistance de la mission Primo produit des données qui ont vocation à être utilisées par les acteurs nationaux et régionaux engagés dans la lutte contre l’antibiorésistance tels que les CRAtb, les CPias et les agences régionales de santé. Ces acteurs sont destinataires des rapports nationaux et de rapports régionaux décrivant la participation des laboratoires par région, ainsi que des données de résistance par département et selon le mode d’hébergement des patients (domicile ou Ehpad), le sexe ou les tranches d’âge. Ces données constituent un outil de pilotage des actions de BUA en soins de ville et secteur médico-social. Des collaborations avec les centres nationaux de référence (CNR) de la résistance aux antibiotiques ont également permis de renforcer des liens entre les laboratoires de ville et les experts de l’antibiorésistance par le biais, notamment, d’enquêtes ponctuelles dont l’objectif était de décrire les mécanismes de résistance circulant en soins de ville et dans le secteur médico-social. La mission Primo s’est également engagée dans la communauté de réseaux Promise, créée dans le cadre du programme prioritaire de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui favorise les échanges entre les systèmes de surveillance des domaines de la santé humaine, de la santé vétérinaire et de l’environnement. Cela a pour objectif de confronter les surveillances existantes dans les trois secteurs afin de mieux comprendre les déterminants de la résistance aux antibiotiques dans une perspective « Une seule santé ».

Perspectives 2023-2028

L’objectif principal de ce volet de la mission pour le mandat qui débute sera de poursuivre la surveillance de l’antibiorésistance des espèces Escherichia coli, Klebsiella spp., Enterobacter spp. et Staphylococcus aureus et des résistances émergentes. Des extensions ponctuelles pourront être envisagées à des espèces bactériennes d’intérêt (p. ex. : Hæmophilus spp., Pseudomonas spp.) en collaboration avec les CNR. Il s’agira également d’améliorer la représentativité du réseau de surveillance en ESMS et en soins de ville, notamment en incluant dans la surveillance des laboratoires dans chaque département, voire d’atteindre une granulométrie la plus fine possible (p. ex. les CPTS). Le but sera d’obtenir une rétro-information des données de surveillance de qualité, avec une fréquence adéquate pour guider l’amélioration des pratiques. Un autre enjeu sera la confrontation des données de résistance aux antibiotiques avec des données de la consommation d’antibiotiques dans les secteurs médico-social et libéral. Par ailleurs, l’exploration des déterminants de la résistance en soins de ville et en Ehpad est un objectif majeur qui pourrait bénéficier du croisement des données de résistance avec des données socio-économiques et populationnelles. Dans ce cadre, une démarche « Une seule santé » sera adoptée par la poursuite des travaux en cours dans le cadre du méta-réseau Promise. Enfin, l’équipe Primo est impliquée dans la production et le développement d’indicateurs de suivi de l’antibiorésistance en ville et en Ehpad aux échelles nationale et internationale.

Conclusion

Le programme de la mission Primo pour les années à venir est ambitieux mais les enjeux de prévention et le contrôle des infections associées aux soins et de bon usage des antibiotiques en établissements sociaux et médico-sociaux et en soins de ville sont majeurs. L’équipe multidisciplinaire possède toute l’expertise et la motivation pour y répondre.

Plus d’informations sur le site internet de la mission Primo : https://antibioresistance.fr/

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Notes :

1- https://antibioclic.com/p/a-propos (Consulté le 24-04-2024).
2- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
3- Organization and attitudes in nursing home antibiotic stewardship, Organisation et attitudes dans la gestion des antibiotiques dans les maisons de retraite.
4- Preferred reporting items for systematic reviews and meta-analyses, Éléments préférés de rapport pour une revue systématique et une méta-analyse.
5- Réseau de prévention des infections associées aux soins. E-outil de surveillance de la résistance aux antibiotiques Medqual. Nantes: Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins des Pays de la Loire. Accessible à : https://medqualville.antibioresistance.fr/ (Consulté le 15-04-2024).