Staphylococcus aureus est une bactérie dont la pathogénicité n’est plus à prouver, notamment chez les patients en réanimation et en soins intensifs, particulièrement à risque de par leur fragilité, les comorbidités associées et la présence de dispositifs invasifs. Les services de réanimation pédiatrique et de néonatologie sont exposés à un risque accru de survenue d’infections à S. aureus, en raison d’une colonisation nasale importante chez l’enfant, en particulier chez le prématuré, puisqu’elle est d’environ 50 % au cours des six premières semaines de vie [1]. La plupart du temps, les nouveau-nés sont colonisés et/ou infectés par des souches multisensibles, toutefois de nombreuses épidémies impliquant des souches résistantes à la méticilline (SARM) sont rapportées dans la littérature [2]. Le CHRU de Besançon (CHRUB) a ainsi été confronté à deux épidémies de SARM dans son service de néonatologie en 2014, dont l’une était due à une souche appartenant au complexe clonal CC1 (encore jamais identifié en France dans un service de néonatologie) à l’origine d’une méningite associée à une bactériémie chez l’un des prématurés.
Description des épidémies de SARM
Au cours de l’année 2014, une colonisation ou une infection à SARM a été identifiée chez douze enfants, dont onze nouveau-nés, hospitalisés dans le service de néonatologie ou de réanimation néonatale et pédiatrique du CHRUB.
Événement inaugural
Un premier nouveau-né hospitalisé en néonatologie a présenté un prélèvement positif à SARM en mars 2014. Cette souche, typée par Pulsed-field gel électrophorèses (PFGE) a posteriori, a été identifiée comme appartenant au pulsotype A et n’ayant aucun lien avec les souches à l’origine des deux épidémies.
Première épidémie : juin à août 2014
Le 10 juin 2014, l’enfant ZN, hospitalisé dans le service de réanimation infantile, présente un premier prélèvement positif à SARM (plaie et rectum). Cet enfant est transféré en néonatologie le 20 juillet. Le 26 juillet, un prélèvement d’œil réalisé chez un enfant de néonatologie (MS) s’avère positif à SARM. L’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) requiert alors la mise en place de précautions complémentaires contact et d’un dépistage nasal hebdomadaire généralisés à tous les enfants hospitalisés dans ce service. Deux autres enfants porteurs sont identifiés le 30 juillet (CS et GO), et de nouveaux dépistages chez l’enfant ZN reviennent positifs à SARM à partir du 30 juillet, cet enfant étant probablement le cas index. Le typage des souches par PFGE a en effet montré que les souches appartenaient au même pulsotype B, et la transmission croisée via les soignants du service a été retenue comme l’hypothèse de diffusion de la souche la plus vraisemblable (Figure 1). En novembre, un enfant de néonatologie (TM) présente un dépistage positif lié à cette même souche appartenant au pulsotype B. Les hypothèses avancées pour expliquer un nouvel isolement de cette souche ont été le portage par un soignant ou par un enfant non dépisté ou ayant eu un dépistage faussement négatif. Ce clone n’a plus été identifié par la suite.
Événement intercurrent : août 2014
Au mois d’août, deux enfants sont identifiés porteurs, l’un hospitalisé en néonatologie (BA) et l’autre en réanimation pédiatrique (UB). Ces deux souches n’ont pas été typées pour des raisons techniques, on ne peut donc pas les rattacher à l’un des épisodes, mais la chronologie et leur profil de résistance serait en faveur du pulsotype B.
Deuxième épidémie : octobre à décembre 2014
Le 30 octobre 2014, un enfant (DP) présente un dépistage nasal positif à SARM dans le service de néonatologie, puis le 4 novembre, son frère jumeau (DF) est également identifié comme porteur. Le 10 novembre, un troisième enfant porteur est identifié (MY). Deux autres enfants vont ensuite présenter un prélèvement positif lors du dépistage hebdomadaire du 24 novembre (RL et TM). Ces cinq souches seront typées par PFGE et identifiées comme appartenant au pulsotype C, à l’exception de celle de l’enfant TM, qui appartient au pulsotype B le rattachant au premier épisode d’épidémie à SARM. Cette seconde épidémie prendra fin en décembre 2014 et sera marquée par la survenue d’une infection nosocomiale invasive chez l’un des enfants porteurs (Figure 2).
Infection nosocomiale invasive liée à la souche CC1
La seconde épidémie de SARM liée à une souche de pulsotype C est donc marquée par la survenue d’une infection nosocomiale invasive. L’enfant RL, né le 27 octobre 2014 à la maternité du CHRUB, est transféré à sa naissance dans le service de réanimation néonatale pour prématurité à 26 semaines d’aménorrhée, où il y était initialement intubé et ventilé. L’évolution est favorable et l’enfant est transféré dans le service de néonatologie le 14 novembre, dans lequel il bénéficie de dépistages systématiques de portage nasal de SARM, réalisés de façon hebdomadaire dans le contexte de cas groupés de colonisation par ce germe. Les deux premiers dépistages de ce patient, datant du 14 et 17 novembre, sont négatifs, puis les deux suivants réalisés les 24 novembre et 1er décembre s’avèrent positifs. L’enfant va alors présenter, dès le 1er décembre, de multiples épisodes majeurs de désaturation, avec instabilité respiratoire et hyperthermie. L’enfant est ensuite transféré en réanimation néonatale à partir du 2 décembre, avec réalisation de multiples prélèvements microbiologiques et instauration d’une antibiothérapie probabiliste à très large spectre par céfotaxime, amikacine, vancomycine et fosfomycine. Les hémocultures et la ponction lombaire reviennent positives à SARM, définissant une méningite associée à une bactériémie d’origine nosocomiale, ainsi que la culture d’un cathéter épicutanéocave. L’antibiothérapie associant vancomycine et rifampicine est adaptée aux résultats de l’antibiogramme. L’évolution est alors favorable, les hémocultures du 8 décembre et la ponction lombaire du 11 décembre reviennent stériles. Deux portes d’entrée peuvent être suspectées pour cette infection invasive : le cathéter épicutanéocave (identifié comme colonisé par SARM le 2 novembre et retiré le jour même), ou une diffusion à partir d’une plaie au niveau de la muqueuse nasale (les prélèvements de nez étant positifs les 24 novembre et 1er décembre, et une décolonisation nasale par mupirocine n’ayant pu être réalisée en raison de l’oxygénothérapie).
Mise en évidence du complexe clonal CC1
L’analyse des déterminants de résistance et des facteurs de virulence des souches a été réalisée par le Centre national de référence des staphylocoques et a mis en évidence la présence des gènes mecA, seh et d’un allèle de type agr3 chez la souche de pulsotype C. Il n’a été retrouvé chez cette souche ni gènes codant pour la leucocidine de Panton-Valentine, ni facteurs de virulence spécifiquement associés à la survenue d’une méningite. Le typage par Multilocus Sequence Typing (MLST) a identifié la souche de pulsotype B comme appartenant au clone ST22, le rattachant au complexe clonal CC22, et la souche de pulsotype C comme étant le clone ST3076, appartenant au complexe clonal CC1. Il s’agit de la première identification d’une souche appartenant au CC1 dans un service de néonatologie d’un établissement de santé français à notre connaissance. Ce clone a en revanche déjà été isolé chez des patients adultes, notamment en milieu carcéral à Nantes, mais dans ce cas la souche était sensible à la méticilline et portait les gènes codant pour la leucocidine de Panton-Valentine [3]. Le complexe clonal CC1 a également été identifié dans un service de néonatologie en Italie, où il représentait quinze souches parmi les 187 souches de SARM isolées sur une période de trois ans, soit 8 % [4]. Quatorze souches sur les quinze identifiées dans cette étude appartenaient à un même clone épidémique, et l’analyse a identifié que le cas index était un enfant transféré depuis un autre hôpital, et que la souche appartenait au clone ST1, à la différence de l’épidémie survenue au CHRUB, qui impliquait une souche ST3076 [5].
Mesures mises en place par l’EOH
Pour chaque enfant identifié porteur de SARM, les précautions complémentaires contact étaient mises en place et l’enfant était placé en chambre individuelle. Pour la seconde épidémie, chaque enfant du secteur était mis en précautions complémentaires contact, qu’il soit colonisé/infecté par SARM ou non. Un audit d’observance de l’hygiène des mains a été mené par l’EOH, et a permis d’observer les pratiques de 33 membres du personnel médical et paramédical : les opportunités d’hygiène des mains étaient pratiquement toujours conformes, mais la technique était souvent inappropriée. Un dépistage nasal hebdomadaire systématique du portage de SARM a été mis en place dans le service de néonatologie d’abord, puis également dans le service de réanimation néonatale et pédiatrique. En cas de dépistage positif, une décolonisation nasale par mupirocine était proposée pour l’enfant porteur, cette mesure n’étant réalisable que pour les enfants non placés sous oxygénothérapie. De même, la décolonisation cutanée, recommandée en association à la décolonisation nasale chez les patients porteurs de SARM, n’a pu être réalisée chez le nouveau-né, en raison de l’absence d’autorisation de mise sur le marché des antiseptiques proposés pour cette décolonisation en néonatologie. Dans nos services de néonatologie, plusieurs épidémies clonales ont été identifiées au cours des dix dernières années, impliquant des pathogènes peu fréquents comme Enterobacter cloacae [6] et Streptococcus gallolyticus [7], mais aussi des bactéries plus classiques comme S. aureus. Au cours d’une épidémie impliquant une souche de S. aureus sensible à la méticilline producteur de TSST-1 (données non publiées), un dépistage du personnel soignant a été organisé mais il n’a pas permis d’identifier la source de l’épidémie et a posé certains problèmes au sein de l’équipe soignante. L’épidémie rapportée dans cet article est la première impliquant des SARM en néotologie au CHRU de Besançon. Compte tenu des difficultés antérieures, nous n’avons proposé ni dépistage des soignants ni des parents. L’origine des souches de SARM responsables des différents épisodes reste donc incertaine, les deux principales hypothèses étant un portage par du personnel soignant ou par les parents, entraînant une introduction des souches dans le service, puis une diffusion par transmission croisée du fait d’une non-application stricte des précautions standard.
Conclusion
Des situations épidémiques impliquant des souches de SARM ont été fréquemment rapportées en réanimation néonatale et pédiatrique [8,9,10,11]. Les mesures décrites dans la littérature pour contrôler ces épidémies comprennent : l’identification du réservoir par dépistage nasal à la recherche de SARM, l’application de précautions complémentaires de type contact pour les enfants porteurs ou la mise en place de cohorting, et la réalisation d’un audit des pratiques d’hygiène de base, ainsi qu’un rappel de l’importance de l’hygiène des mains et de l’utilisation des solutions hydro-alcooliques pour contrôler la transmission croisée. L’utilisation de la mupirocine peut également s’avérer intéressante pour décoloniser les patients et réduire le réservoir, même si son application est plus délicate que chez l’adulte, notamment chez les enfants bénéficiant d’une oxygénothérapie.