Les infections représentent les premières causes de mortalité et de morbidité néonatales, en particulier en cas de prématurité, et interrogent sur les capacités du système immunitaire du nouveau-né [1]. Le rôle du système immunitaire (SI) est centré sur la défense de l’organisme vis-à-vis des agents infectieux et se développe selon deux stratégies complémentaires : la première est représentée par la mobilisation de la réponse dite innée, immédiate et non spécifique. La seconde fait appel à la réponse adaptative, spécifique de l’agent pathogène, qui permet le développement de la mémoire immunitaire. Pour répondre à cet objectif de protection, le SI doit être capable de différencier les agents pathogènes de ceux qui ne le sont pas, tout en ignorant les composants « inoffensifs » de l’environnement. Ce rôle de protection s’étend aussi au maintien de l’intégrité de l’organisme et à l’élimination des éléments non infectieux potentiellement pathogènes, comme les cellules tumorales. Le SI va ainsi devoir identifier les agents pathogènes et mobiliser divers mécanismes effecteurs adaptés à l’élimination de ces éléments. Pour cela, il utilise des récepteurs qui permettent de reconnaître ces agents soit de façon « générique », différenciant par exemple une bactérie, un virus, soit de façon « spécifique » : le virus de la rougeole ou de la varicelle par exemple. Ce répertoire spécifique est immense, généré de façon aléatoire lors du développement du SI et va devoir être contrôlé pour éviter les phénomènes d’autoréactivité c’est-à-dire l’auto-immunité. À la naissance le développement du SI se poursuit. L’isolement du fœtus vis-à-vis de l’environnement pendant la gestation est loin d’être total mais la confrontation à la naissance aux micro-organismes et à la diversité de l’environnement est massive. Lors d’une naissance à terme, c’est une étape nécessaire pour que le développement se poursuive, car ces éléments ne sont pas tous dangereux et sont même nécessaires à une bonne santé. La capacité de réponse du SI du nouveau-né se fait donc en fonction de l’état de développement, qui se poursuivra encore après la naissance au-delà des quatre premières semaines.
La réponse immune
Confronté à des micro-organismes, l’hôte va d’abord utiliser une première ligne de défense faisant appel au SI inné qui permet une réponse rapide. La réponse innée repose à la fois sur des facteurs solubles (peptides antimicrobiens, protéines du complément) et cellulaires (polynucléaires neutrophiles, macrophages, T γδ, cellules NK) et la réponse adaptative et spécifique sur les lymphocytes T et B, et les anticorps. Ces deux composantes de la réponse immune vont se compléter et se renforcer mutuellement.
Réponse innée
L’immunité innée correspond à un processus de défense non spécifique, sans mémoire immunologique, même si on peut mettre en évidence une forme « d’entraînement » de certains types cellulaires [2]. Les portes d’entrée que constituent la peau, le tractus gastro-intestinal et respiratoire sont tapissées d’epithelia qui forment une barrière cutanéomuqueuse protectrice. Y sont présents de nombreux facteurs protecteurs, mécaniques, enzymatiques mais aussi des peptides antimicrobiens comme les défensines (Figure 1). L’épithélium constitue donc la première ligne de défense de l’organisme et son rôle est renforcé par la présence de cellules, telles que des lymphocytes T dits non conventionnels. Ces lymphocytes expriment un T-cell receptor (TCR) γδ [3], moins divers que les TCR αβ et reconnaissent des composants non peptidiques. Sur un site inflammatoire, ils sont capables de sécréter un grand nombre de cytokines inflammatoires et de libérer des médiateurs cytotoxiques (perforine, granzyme). La réponse immunitaire innée est activée par des motifs moléculaires caractéristiques d’un micro-organisme, dénommés PAMP (pathogen-associated molecular pattern) qui peuvent être d’origine bactérienne, virale, fungique ou parasitaire. Ils sont reconnus par des récepteurs ad hoc (les PRR [pattern recognition receptor]) et exprimés, entre autres, par les cellules effectrices de l’immunité innée. Parmi les PRR, la famille des récepteurs TLR (toll-like) est la mieux représentée. À titre d’exemple, le lipopolysaccharide (LPS) constituant des fragments de la paroi externe des bactéries Gram négatives, active le récepteur TLR4 [4]. Cela conduit à l’activation du facteur de transcription NF-kB, responsable de la sécrétion de cytokines inflammatoires et effectrices (Interleukine [IL]-1, IL-12, TNFα [tumor necrosis factor α]) participant à la stimulation de la réponse immunitaire adaptative. En réponse à ces PAMP, les mécanismes anti-infectieux des cellules phagocytaires sont activés.
Les cellules phagocytaires
Les cellules phagocytaires, telles que les neutrophiles et les monocytes, jouent un rôle majeur dans l’immunité innée. Les neutrophiles sont les leucocytes les plus abondants dans le sang (4-10 G/L) [5] et ont une durée de vie courte [6] mais dans un contexte inflammatoire, ils peuvent survivre jusqu’à plusieurs jours [7]. Les monocytes, moins nombreux (0,2-0,9 G/L), ont une durée de vie prolongée et se différencient en macrophages dans les tissus. La phagocytose est le mode d’action principal de ces cellules contre les micro-organismes. Après reconnaissance du pathogène, celui-ci est internalisé puis dégradé. Pour atteindre les tissus, les neutrophiles et les monocytes migrent vers le foyer infectieux selon un processus de migration transendothéliale, qui met en jeu diverses molécules d’adhérence tant sur l’endothélium que sur les leucocytes et des chimiokines qui permettent ce recrutement sélectif [8]. Les cellules phagocytaires, grâce aux TLR et à divers récepteurs membranaires, reconnaissent le pathogène et initient son internalisation. L’activation de ces cellules s’accompagne d’une explosion respiratoire conduisant à la libération massive d’ions superoxyde (particulièrement par le neutrophile) rapidement transformés en dérivés réactifs de l’oxygène qui sont extrêmement toxiques pour le pathogène ingéré. Les neutrophiles ont aussi la capacité de former des « filets » d’ADN largement recouverts d’enzymes et de défensines libérées par leurs granules, qui permettent d’attraper les pathogènes extra-cellulaires (exemple : Candida, Staphylocoques) et de les éliminer. On appelle ce mécanisme la nétose (neutrophil extracellular trap-ose) [9]. Les cellules phagocytaires sécrètent aussi des facteurs chimiotactiques permettant le recrutement d’effecteurs nécessaires à la mise en place de la réponse adaptative. Les cellules NK (natural killer) représentent 10 % des lymphocytes circulants et ont pour rôle d’éliminer rapidement les cellules infectées ou tumorales. Tout comme les lymphocytes Tγδ, elles sont capables d’induire la mort cellulaire de la cible par apoptose grâce à leurs granules cytoplasmiques (perforine, granzyme). Leur activation est contrôlée par un équilibre entre récepteurs activateurs et inhibiteurs, reconnaissant des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). En outre, les cellules NK sécrètent des cytokines comme l’Interferon-γ (IFNγ) facilitant l’orientation vers la voie Th1 des lymphocytes T CD4 lors de la réponse immune adaptative.
Le système du complément
Est un ensemble de protéines circulantes qui peut être activé par trois voies : classique, alterne ou celle dépendante des lectines. Les deux dernières ne nécessitant pas d’anticorps sont activées directement par les pathogènes. Ces trois voies convergent vers le clivage du C3 qui permet le recrutement de cellules inflammatoires en libérant des protéines chimiotactiques (C3a, C5a). La poursuite de la cascade forme le complexe d’attaque membranaire qui perturbe la perméabilité membranaire du pathogène et entraîne la mort de la bactérie. Le dépôt de fragments C3b permet l’opsonisation du pathogène et facilite la phagocytose.
Réponse adaptative
Elle mobilise des effecteurs lymphocytaires T et B capables de reconnaître de façon spécifique des déterminants présents sur l’agent pathogène grâce à des récepteurs (TCR [T-cell receptor], BCR- [B-cell receptor]) distribués de façon clonale sur ces lymphocytes. Un clone T ou B reconnaît ainsi un seul déterminant antigénique. Les lymphocytes B sont capables de reconnaître directement l’antigène que celui-ci soit soluble ou cellulaire, alors que les lymphocytes T ne reconnaissent que des fragments peptidiques présentés par les molécules du CMH présentes sur toutes les cellules de l’organisme (hormis les hématies). Les molécules du CMH sont principalement de deux types : les molécules de classe I présentes sur toutes les cellules et reconnues par les lymphocytes T CD8 ; et les molécules de classe II présentes sur les cellules présentatrices d’antigène, dites professionnelles et reconnues par les T CD4. Une réponse immunitaire adaptative est commencée par l’intermédiaire des cellules présentatrices d’antigène, telles que la cellule dendritique (CD). Celle-ci capte l’antigène, perçoit des signaux de danger via les TLR et exprime alors l’antigène associé au CMH. La CPA activée exprime aussi des signaux dits de costimulation qui agissent via la molécule CD28 des lymphocytes T, et sont absolument nécessaires pour l’activation du lymphocyte T. Les lymphocytes T CD4 constituent une population dite auxiliaire ou helper (Th) qui est très hétérogène fonctionnellement. Ils ont été caractérisés par leur production de médiateurs solubles appelés cytokines et les premières populations décrites ont été les Th1 et Th2. Le profil Th1 correspond à la production d’Interferon-γ (IFNγ) ; Interleukine 2 (IL2) et de TNF et celui des Th2 à la production d’IL4, IL5, IL10 et IL13. Cette différenciation est liée à l’expression caractéristique de facteurs de transcription permettant l’expression stable de ces cytokines à savoir, Tbet et GATA3 pour les Th1 et Th2 respectivement. Elle résulte de signaux cytokiniques produits par les CPA et les cellules de l’environnement selon la nature de l’agent infectieux. Ainsi, les Th1 sont adaptés aux réponses antivirales et antipathogènes intracellulaires grâce à leur effet de promotion des lymphocytes T CD8 cytotoxiques, des NK et des macrophages. Les Th2 sont responsables d’une réponse antiparasitaire particulièrement contre les helminthes, grâce aux polynucléaires éosinophiles, basophiles et mastocytes. D’autres sous populations de Th ont été identifiées, dont les Th17, caractérisés par le facteur de transcription RORC et produisant de l’IL17 et de l’IL22. Ces cytokines activent les réponses antibactériennes et antifungiques via les neutrophiles. Les Th21, encore appelés T folliculaires helper sont particulièrement impliqués dans la différenciation des lymphocytes B au niveau des follicules ganglionnaires. Ces différents types de Th peuvent être aussi impliqués dans diverses pathologies auto-immunes ou inflammatoires (Th1, Th17), ou allergiques (Th2). Il existe aussi une population T CD4 qui ne participe pas à la différenciation de ces diverses populations helper ou effectrices mais qui au contraire contrôle et régule ces réponses. Il s’agit des T régulateurs (Treg) identifiés par leur phénotype CD4+CD25+CD127- et caractérisés par le facteur de transcription Foxp3. Ces Treg peuvent être « naturellement » régulateurs à leur sortie du thymus ou peuvent se différencier en périphérie. Dans les deux cas, ils ont pour rôle de limiter l’expansion des lymphocytes après le contrôle de l’infection et de prévenir les phénomènes d’auto-immunité. Les lymphocytes T CD8 après activation sont capables de cytotoxicité vis-à-vis des cellules infectées principalement par des virus. L’autre composante de la réponse spécifique est la réponse humorale c’est-à-dire la production des anticorps spécifiques du pathogène, par les lymphocytes B et les plasmocytes. Dans le cas des antigènes dits thymodépendants, les interactions entre lymphocytes B et T, grâce en particulier à l’expression de CD40L sur le T activé, de son récepteur CD40 sur le B et aux cytokines appropriées, permettent la commutation isotypique et la maturation d’affinité des anticorps. Les antigènes polysaccharidiques, thymo-indépendants n’induiront pas ou peu cette maturation. Les cellules NK, après le développement d’anticorps seront capables de reconnaître leur cible si celle-ci en est recouverte. En effet elles expriment un récepteur pour le fragment Fc des immunoglobulines d’isotype IgG (FcRIII/CD16). Cette reconnaissance active leur cytotoxicité et aboutit à la destruction des cellules infectées par un processus appelé Antibody-dependant- cell-cytotoxicity (ADCC). Une propriété majeure des lymphocytes T et B est leur capacité à maintenir après l’élimination de l’agent infectieux, des populations mémoires spécifiques de cet antigène, qui se maintiennent dans les ganglions lymphatiques ou les tissus périphériques. Lors d’une nouvelle exposition antigénique celles-ci sont capables d’une réactivation rapide et de nouvelles phases d’amplification.
Ontogénie du système immunitaire
Durant l’embryogenèse, l’hématopoïèse débute au niveau du sac vitellin puis dans le foie fœtal, puis les précurseurs hématopoïétiques colonisent la moelle osseuse permettant la différenciation des différentes lignées leucocytaires, y compris lymphocytaires entre la huitième et la dixième semaine de gestation.
Cellules de la réponse innée
Les neutrophiles et les monocytes, sont formés dans la moelle osseuse et dérivent d’une cellule souche hématopoïétique (CSH) pluripotente, qui donne naissance à un progéniteur myéloïde commun. En présence de facteur de croissance GM-CSF (granulocyte macrophage-colony stimulating factor), il se différencie en progéniteur granulo/monocytaire. La numération des neutrophiles varie pendant la période fœtale et néonatale. Au premier trimestre de grossesse, la lignée mono/macrophagique tend à se différencier, au détriment de la lignée granulocytaire. C’est à partir du troisième trimestre que le nombre de neutrophiles devient proche de celui de l’adulte [10]. Toutefois, la capacité des neutrophiles à migrer vers le site inflammatoire est limitée du fait d’une expression très limitée des molécules d’adhérence [11]. En réponse à un agent infectieux, leur chimiotactisme et leur fonction de phagocytose et d’explosion respiratoire sont également très réduits (Figure 2) [12]. Les monocytes et les macrophages sont immatures pendant la vie fœtale et leur capacité de migration est réduite à la naissance mais leur capacité de phagocytose est normale. Par ailleurs, les monocytes sécrètent moins de cytokines inflammatoires (l’IL-6, TNFα) lors d’une stimulation du TLR4 par le LPS [13]. La cytotoxicité des cellules NK est contrôlée par les récepteurs activateurs et inhibiteurs qu’elles expriment. Les NK du nouveau-né expriment plus de récepteurs inhibiteurs et sont ainsi moins cytotoxiques, alors que leur capacité d’ADCC est comparable [14]. Leur capacité de production d’IFNγ est aussi limitée [15]. Chez le nouveau-né, de nombreuses protéines du complément sont en concentration plus faible que chez l’adulte ; y compris le C9 important pour lutter contre les germes de type Neisseria, ce qui est mesuré in vitro par une baisse de l’activité du complément hémolytique [16].
Les lymphocytes
Les lymphocytes B se différencient directement au niveau de la moelle osseuse alors que les lymphocytes T le font après migration du précurseur vers le thymus. Les répertoires des récepteurs B (BCR) ou des TCR sont générés par un mécanisme de recombinaison de gènes (V : variable, D : diversité, J : joining) propre aux lymphocytes grâce à des enzymes de recombinaison (recombination active gene 1 et 2) et à des mécanismes de réparation de l’ADN. Cela se déroule dès le second trimestre de grossesse, mais la diversité du répertoire reste assez limitée ; l’activité de la Tdt (terminal deoxynucléotidyl transferase) n’étant optimale qu’après la naissance [17]. Ce mécanisme est intrinsèquement nécessaire au développement des lignées lymphocytaires T et B. À la naissance, la majorité des cellules sont naïves, bien que des cellules T mémoires soient aussi détectables, preuve de l’existence de stimulations anténatales [18]. Le nouveau-né dispose donc essentiellement de cellules dont l’activation nécessite de multiples signaux (antigènes, costimulations et cytokines) alors que les cellules mémoires sont plus rapidement réactives. Les lymphocytes T naïfs sont en grand nombre, mais fonctionnellement moins actifs, y compris en termes de prolifération, ce qui pourrait être lié à un défaut transitoire des voies de signalisation du TCR. L’activation des T est permise grâce aux cellules présentatrices d’antigène, en particulier les cellules dendritiques qui apprêtent l’antigène et apportent les signaux de costimulation. Or à la naissance, les cellules dendritiques sont moins nombreuses et moins efficaces car elles expriment moins de molécules du CMH, de ligands de CD28 et de cytokines activatrices (TNF, IL12) après stimulation de leur TLR. Ces altérations limitent la différenciation des cellules dans la voie Th1, nécessaire à l’immunité cellulaire, et favorisent la voie Th2 qui, au travers de la production d’IL10 est plutôt immunorégulatrice. En revanche, la production d’IL6 et d’IL23, qui permet la différenciation des cellules de type Th17 est très efficace [19]. Ces tendances, qui contrastent avec les réponses observées chez l’adulte sont contrôlées par des mécanismes de régulation épigénétique et ce profil persiste plusieurs mois. Une autre différence importante est la présence en grand nombre de lymphocytes Treg, en particulier dans les tissus notamment ceux du tube digestif, représentant jusqu’à 30-40 % des T CD4 au lieu des 3-10 % détectés chez l’adulte [20]. Cette différenciation est d’ailleurs facilitée au niveau digestif par les cellules dendritiques des muqueuses. Les lymphocytes T CD8, quant à eux, sont en plus faible quantité à la naissance et sont plutôt hyporéactifs, par manque de signaux appropriés membranaires et cytokiniques (IL12) de la part des cellules présentatrices d’antigènes. Les lymphocytes B issus directement de la moelle osseuse ont aussi un répertoire moins diversifié que les B adultes. Une population, B1, est à la naissance plus développée, et produit des anticorps naturels de façon T-indépendante [17]. Elle est aussi responsable de la production de Transforming growth factor (TGF) et d’IL10, qui favorisent là encore la différenciation des Th2. Le défaut d’expression de CD40L par les lymphocytes T ainsi qu’un défaut intrinsèque des voies de signalisation du BCR sont responsables d’une moindre commutation isotypique après stimulation antigénique. Les lymphocytes B conventionnels répondent moins aux signaux de costimulation et la formation des centres germinatifs est diminuée, ainsi que la différenciation plasmocytaire. La réponse aux antigènes polysaccharidiques est particulièrement insuffisante et n’atteint un niveau optimal qu’aux environs de l’âge de deux ans, après maturation des cellules de la zone marginale de la rate. Les cellules mémoires qu’elles soient T ou B, ont une capacité accélérée de réaction lors d’une ré-exposition mais offrent aussi un spectre de protection plus large, grâce aux réactions croisées des TCR avec d’autres antigènes que ceux initiateurs de la première réponse. Le nouveau-né dont les cellules sont majoritairement naïves est ainsi moins bien protégé. La réponse adaptative semble donc relativement limitée, mais est surtout « bridée » pour limiter les réponses inflammatoires contre les différents éléments microbiens qui ne sont pas pathogènes ou les réponses qui seraient excessives. Cette régulation s’observe aussi sur la réponse innée. En effet, si les cellules isolées montrent in vitro dans nombre de situations une activation satisfaisante, on observe la présence chez le nouveau-né de facteurs plasmatiques capables de les inhiber, adénosine pour les neutrophiles [21] ou BPI (bacterial permeability increasing protein) pour les monocytes [22]. Cela renforce l’idée que la réponse du nouveau-né est orientée vers une limitation de la réponse inflammatoire face aux expositions multiples de l’environnement, mais avec un risque délétère en cas d’infection. On peut prendre en exemple l’effet paradoxal du LPS reconnu par le TLR4, qui chez l’adulte active la réponse inflammatoire des cellules innées, alors que chez le nouveau-né il inhibe des voies de signalisation intracellulaires et bloque la réponse des cellules épithéliales protégeant l’intestin au moment de la colonisation microbienne [23].
Protection passive
Pour pallier les insuffisances résultant de cette situation de potentielle fragilité, le nouveau-né va bénéficier pendant quelques mois des expériences antigéniques qui ont stimulé la réponse immune spécifique de sa mère grâce au passage transplacentaire des immunoglobulines d’isotype IgG. Ce transfert actif se fait grâce à un récepteur, le FcRn (neonatal Fc receptor) qui s’accroît en fin de grossesse. On peut ainsi, pendant quelques mois après la naissance, détecter divers anticorps dont ceux induits par des vaccinations maternelles [24]. C’est au moment de la disparition de ces anticorps que peuvent commencer à s’exprimer plus nettement certains déficits immunitaires qui affectent la réponse immune spécifique. L’allaitement peut compléter cette protection en apportant aussi des immunoglobulines. Celles-ci, d’isotype IgA, sont utiles pour renforcer la barrière digestive. Mais d’autres composants sont aussi présents, tant solubles comme des cytokines, des molécules anti-infectieuses ou des facteurs de croissance utiles pour le développement du tube digestif, que cellulaires comme des polynucléaires ou des macrophages maternels [25]. De même, des facteurs régulateurs ont été mis en évidence, et sont capables de participer au contrôle d’une réponse innée qui serait excessive (ex TLR2 soluble) [26].
Système immunitaire du prématuré
Le système immunitaire du nouveau-né à terme n’est donc pas immature, mais adapté aux événements périnataux, qui constituent des étapes nécessaires à la bonne adaptation de la réponse immune et à la poursuite de son développement. En revanche, la naissance prématurée expose le système immunitaire, alors que de nombreux éléments de réponse immune sont insuffisamment développés. La barrière cutanéomuqueuse est la première protection vis-à-vis de l’environnement. Le vernix caseosa qui protège le nouveau-né à terme y compris par ses nombreux composants antimicrobiens est absent avant 28 semaines et beaucoup plus perméable chez le prématuré. La capacité du tube digestif et de l’arbre respiratoire à produire des éléments de défense antimicrobiens est facilitée par la colonisation bactérienne qui a lieu à la naissance mais se trouve réduite chez le prématuré où le développement de ces organes est encore incomplet. De plus, le microbiote du prématuré est différent de celui du nouveau-né à terme et s’avère moins protecteur [27]. La protection passive apportée par le transfert des IgG maternelles est un mécanisme de défense efficace, mais le transfert est faible en début de grossesse et ne s’accroît qu’après 32 semaines de gestation [28]. Cette carence associée au faible taux de la protéine C3 limite ainsi l’opsonisation des pathogènes et leur élimination. La vulnérabilité du prématuré est donc plus importante et augmente le risque infectieux voire nosocomial. Les capacités de la réponse innée montrent aussi de nombreuses insuffisances en partie quantitatives, avec moins de neutrophiles, mais aussi qualitatives tant dans les voies de signalisation intracellulaires des PRR que de l’expression des intégrines limitant les capacités de migration et de diapédèse des neutrophiles. De même les phénomènes de nétose sont réduits [29]. Certaines fonctions des neutrophiles sont néanmoins assez efficaces, mais leur renouvellement s’avère insuffisant dans les cas de sepsis [30]. Les cellules présentatrices d’antigènes sont aussi moins efficaces à présenter les antigènes tant par leur moindre expression de molécules du CMH-peptide antigénique que de costimulation ou de production de cytokines. La réponse adaptative, qui met plusieurs jours à se développer, montre alors une diminution de la réponse Th17, augmentant la sensibilité aux infections à E. coli ou au Candida ainsi qu’une diminution des Th1 exposant plus aux infections à germes intracellulaires (Listeria ou Mycobacterium tuberculosis) ou virales (herpès).
Déficits immunitaires
Comme on l’a vu, chez le nouveau-né normal, la protection spécifique est en partie transmise par la mère et les anomalies les plus précoces à s’exprimer concerneront la réponse innée. Il pourra s’agir de neutropénies sévères ou cycliques liées à des anomalies de la différenciation des cellules myéloïdes, qui nécessiteront le plus souvent une greffe de cellules souches hématopoïétiques. Les défauts fonctionnels des neutrophiles pourront être secondaires à des défauts d’expression des intégrines rendant les cellules incapables de migration et diapédèse. Enfin dans la granulomatose septique chronique, les mutations affectent des composants de la nicotinamide adénine dinucléotide phosphate d’hydrogène (NADPH) oxydase empêchant ainsi l’explosion respiratoire qui permet la bactéricidie. Ces diverses anomalies se traduisent par des tableaux cliniques différents lors d’infections bactériennes ou fongiques et relèvent également de la greffe de cellules-souches. Le complément peut aussi être altéré par des mutations, en particulier de la voie classique avec des risques d’infections à germes encapsulés (ex. : méningocoques), mais ces anomalies se révèlent rarement dans la période néonatale. Hormis dans le contexte de délétion 22q11.2 (syndrome de Di George), dont l’évocation se fait sur l’ensemble du tableau syndromique néonatal, ou du fait des antécédents familiaux, la recherche d’un déficit immunitaire combiné avec un phénotypage lymphocytaire n’est que rarement évoquée chez le nouveau-né. Cependant, afin d’accélérer le diagnostic de ces déficits sévères, alors que le succès des greffes des cellules est supérieur si elles sont réalisées tôt, un dépistage néonatal est praticable par quantification des TRECs (T-cell receptor excision circle) pour mettre en évidence une lymphopénie T profonde [31]. Ce test détecte les fragments d’ADN excisés lors des réarrangements des gènes du TCR et présents dans les lymphocytes sortant du thymus. Une étude est en cours en France pour évaluer la faisabilité et la pertinence de l’utilisation des buvards prélevés dans le cadre du dépistage néonatal existant (protocole DEPISTREC) [32].
Protection vaccinale
Le nouveau-né va donc être amené à développer rapidement ses propres éléments de réponse adaptative et sa mémoire immunitaire. L’un des moyens de renforcer cette protection est l’utilisation de la vaccination. On observe cependant que, hormis une bonne réponse dès la naissance au BCG, les réponses vaccinales restent faibles tant en termes d’affinité des anticorps, de commutation isotypique que de survie à long terme des plasmocytes. Ceci s’améliore à partir de deux mois. La production limitée d’anticorps nécessite et justifie l’utilité des rappels jusqu’à deux ans. L’amélioration de la stimulation des TLR par de nouveaux adjuvants pourrait permettre une plus grande efficacité vaccinale dès la naissance. La protection du nouveau-né pourrait aussi être améliorée par une augmentation du transfert des anticorps maternels (contre le virus respiratoire syncitial par exemple), en vaccinant les mères comme cela a été montré pour la coqueluche [33]. La réponse immune du nouveau-né est désormais mieux appréhendée dans sa complexité qui nécessite de répondre à un nouvel environnement très riche mais pas forcément nocif. Les mécanismes de contrôle d’un excès de réponse inflammatoire potentiellement délétère pour des organes en développement exposent ainsi à un risque de fragilité qu’on ne peut plus simplement qualifier « d’immaturité ». Cette meilleure compréhension permettra ainsi de mettre en place des stratégies de protection mieux adaptées. Remerciements : Les auteurs remercient O. Toutirais pour sa lecture critique du manuscrit.