Au printemps 1990, j’ai effectué mon premier déplacement à Veyrier-du-Lac, pour participer au tout premier Cours européen d’hospitologie (Stratégie globale en hygiène hospitalière). Ce cours sur les infections nosocomiales destiné aux médecins français était organisé par le Pr Jacques Fabry avec le soutien de la Fondation Mérieux. Je n’occupais que depuis quelques mois le poste de chef de l’activité de surveillance du programme d’infections nosocomiales des Centers for Disease Control (CDC), ayant exercé les quatre années précédentes comme épidémiologiste hospitalier des hôpitaux de l’université du Michigan. J’avais également été responsable du Epidemic Intelligence Service (au sein du CDC) au début des années 1980 dans le cadre de ma formation. Je connaissais donc les sujets que l’on me demandait d’aborder lors de ce cours. Pour moi, c’était l’occasion de collaborer avec des collègues européens et d’enseigner. Une correspondance récente avec Jacques Fabry, organisateur du cours, m’a permis de prendre conscience de l’importance de cette expérience.
Mes interventions portaient sur l’importance de la surveillance des infections associées aux soins (IAS), sur les protocoles de surveillance des CDC et les mesures de prévention associées à chaque type d’infection comme les sepsis ou les infections urinaires. Les CDC reconnaissent depuis longtemps l’importance de la surveillance en santé publique1. Dès 1970, ils ont mis en place un système national structuré de surveillance des IAS dans les hôpitaux américains : le système NNIS (National Nosocomial Infection Surveillance)2. Premier du genre, ce système nécessitait l’utilisation de définitions uniformes, de procédures standardisées de recherche de cas et d’une stratification des risques pour générer des données transmises aux établissements participants, servant de référence et fournissant des données nationales sur ces infections. La surveillance est passée de 19 hôpitaux à plus de 300 au début des années 2000. En 1986, le NNIS a abandonné une exigence de surveillance à l’échelle de l’hôpital pour privilégier une surveillance plus ciblée pour les unités de soins intensifs pour adultes et enfants, la néonatologie à haut risque et les unités de soins chirurgicaux3,4,5. En 2005, le système NNIS a été remplacé par le réseau national de sécurité sanitaire (NHSN) : il demeure un système de déclaration des IAS, y compris en milieu hospitalier6.
Au-delà des aspects techniques, le fait que les CDC aient mis en œuvre un programme national de surveillance et de contrôle des IAS aux États-Unis a eu une influence durable. À l’époque, les institutions politiques françaises comme celles d’autres pays européens, étaient encore réticentes à l’idée d’investir des ressources dans un programme national. Je me souviens de la présence d’un représentant du ministère français de la Santé lors de cette première formation, une présence qui a contribué à une certaine anxiété lorsque je me suis levé pour prendre la parole dans mon français approximatif. Mais je me souviens aussi de mon soulagement lors des applaudissements du public après ma présentation ! Je comprenais que mon modeste effort avait eu l’effet escompté : contribuer à lancer une coopération et une amitié durable entre nos pays, et entre les organisateurs et moi-même.
Comme l’ont écrit deux médecins français : « Jusqu’au début des années 1990, le développement de la lutte contre les infections et de la politique d’hygiène hospitalière avait été excessivement lent en France. »7 Pendant les exposés, le représentant du ministère français de la santé prenait des notes attentives, ce qui a pu avoir un impact. Car, en 1992, ce même ministère créait un comité national et cinq centres régionaux (interrégionaux) pour la prévention des infections nosocomiales afin de définir, coordonner et mettre en œuvre une politique nationale de prévention8.
J’ai participé à l’organisation des cinq cours suivants à Veyrier-du-Lac, chaque année avec des participants français et un nombre croissant de participants venant de pays européens dont l’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Suisse et l’Allemagne. En effet, à partir des années 1990, plusieurs pays européens initiaient des réseaux nationaux ou régionaux de surveillance des IAS et la plupart de ces réseaux se sont appuyés sur le modèle NNIS des CDC. Et le programme HELICS (Hospitals in Europe Link for Infection Control through Surveillance) a été le partenariat international de ces réseaux, géré par les coordinateurs de réseau entre 1995 et 2010 et financé par l’union européenne9. J’ai assisté à la première réunion HELICS à Bruxelles. Selon Jacques Fabry, « l’exemple américain a été très motivant : [les pays européens participants] ont tous été amenés à suivre l’exemple des CDC. La présence des CDC [à la formation et aux réunions] montre combien la coopération entre les nations est essentielle pour l’avenir de la santé. »10 À l’époque, j’ignorais l’impact de ma présence – en réalité, celle des CDC. Il faut souvent une perspective plus large pour le comprendre pleinement. Aujourd’hui je suis fier de ces expériences et de savoir qu’elles ont été importantes pour la France et pour d’autres pays.
Par diverses initiatives internationales, les CDC sont largement impliqués dans la lutte contre les infections. Malheureusement, cette implication est menacée. L’administration Trump a apporté des changements importants aux CDC, notamment la suppression du Comité consultatif sur les pratiques de contrôle des infections dans les établissements de santé (HICPAC), un comité consultatif fédéral qui fournissait des orientations et des recommandations aux CDC et au Département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis (HHS) sur les pratiques de contrôle des infections dans les établissements de santé. Les membres des CDC ne sont désormais plus autorisés à voyager ni à faire de présentations publiques lors de réunions. Si des mises à jour peuvent encore avoir lieu, de nouveaux sites web des CDC sont interdits. Des réductions substantielles de personnel ont déjà eu lieu, et d’autres pourraient se produire à l’avenir. Comme l’a récemment déclaré l’Infectious Diseases Society of America : « l’élimination de larges pans d’employés hautement qualifiés et dévoués au sein du ministère de la Santé et des Services sociaux et dans l’ensemble des agences qu’il supervise, y compris les National Institutes of Health, les Centers for Disease Control and Prevention, la Food and Drug Administration et d’autres bureaux responsables de la protection de la santé des Américains, va à l’encontre de l’objectif de maintenir l’Amérique en bonne santé. »11 Comme le démontre cet exemple, la diminution de la présence des CDC affectera non seulement la santé des Américains, mais aussi celle du reste du monde.
Notes :
1- Gaynes R. History of Infection Control in the United States. Hygiènes. 2018;26(4):23-28.
2- Emori TG, Culver DH, Horan TC, et al. National nosocomial infections surveillance system (NNIS): description of surveillance methods. Am J Infect Control. 1991;19(1):19-35.
3- Jarvis WR, Edwards JR, Culver DH, et al. Nosocomial infection rates in adult and pediatric intensive care units in the United States. National Nosocomial Infections Surveillance System. Am J Med. 1991;91(3B):185S-191S.
4- Gaynes RP, Edwards JR, Jarvis WR, et al. Nosocomial infections among neonates in high-risk nurseries in the United States. National Nosocomial Infections Surveillance System. Pediatrics. 1996;98(3):357-361.
5- Horan TC, Culver DH, Gaynes RP, et al. Nosocomial infections in surgical patients in the United States, January 1986-June 1992. National Nosocomial Infections Surveillance (NNIS) System. Infect Control Hosp Epidemiol. 1993;14(2):73-80.
6- National Healthcare Safety Network (NHSN). Patient Safety Component. NHSN: janvier 2025. 458 p. Accessible à : Manualhttps://www.cdc.gov/nhsn/pdfs/pscmanual/pcsmanual_current.pdf (Consulté le 22-04-2025).
7- Astagneau P, Brücker G. Organization of hospital-acquired infection control in France. J Hosp Infect. 2001;47(2):84-87.
8- Ibid.
9- Mertens R, Van Den Berg JM, Fabry J, Jepsen OB. HELICS: a European project to standardise the surveillance of hospital acquired infection, 1994-1995. Euro Surveill. 1996;1(4):28-30.
10- Fabry J. Communication personnelle.
11- Infectious Diseases Society of America. Statement on April 1 HHS Job Cuts [Internet]. Accessible à : https://www.idsociety.org/news--publications-new/articles/2025/statement-on-april-1-hhs-job-cuts/ (Consulté le 22-04-2025).