Édito | Lutte contre les infections et développement durable : quelle logique ?

graham pike

graham pike

Directeur adjoint des soins infirmiers et de la prévention des infections – Référent développement durable – Great Western Hospitals – NHS Foundation Trust – Swindon – Royaume-Uni
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Que signifie exactement le développement durable, et en quoi est-il pertinent pour la prévention des infections ? Pour répondre à la première question : un processus est durable s’il peut être maintenu – ou poursuivi – indéfiniment. Autrement dit, il ne doit pas détruire les ressources nécessaires à sa propre continuité. Il suffit d’un instant de réflexion pour constater que toutes les ressources nécessaires aux activités humaines dépendent entièrement de la planète que nous partageons.

Au moment où j’écris ces lignes, la Journée de la Terre approche – elle a lieu chaque année le 22 avril depuis 1970, et vise à manifester un engagement en faveur de la protection de l’environnement. Mais en prenant un peu de recul sur ces 55 années, force est de constater que notre bilan n’est pas brillant. Depuis 1970, les populations d’animaux sauvages ont chuté de 73%, selon le rapport Living Planet Report 2024 de la Zoological Society of London1. La dégradation et la perte de l’habitat, causées par l’homme, ainsi que la surexploitation des ressources naturelles, en sont les principales raisons. Le Global Footprint Network (Réseau de l’empreinte écologique mondiale) basé à Genève replace ce phénomène dans son contexte. Il indique qu’en 1970, nous consommions chaque année environ l’équivalent d’une terre en ressources écologiques (cultures, bétail et produits de la pêche, sols, bois etc.)2. On estime aujourd’hui que ce chiffre est passé à 1,7 terre. Cela signifie qu’à la fin du mois de juillet de chaque année, nous avons déjà consommé ce que la Terre peut produire en 12 mois. Il est clair que cela ne peut pas durer éternellement ! Nous réduisons la capacité de la Terre à subvenir à nos besoins, ce qui, par définition, n’est évidemment pas durable.

La quantité de dioxyde de carbone (CO2) que nous rejetons dans l’atmosphère est l’une des causes de ces dommages. Le CO₂ est un sous-produit de nombreuses activités humaines. Et bien que la planète ait une certaine capacité à l’absorber, elle ne peut le faire qu’à un rythme limité – d’autant plus que la végétation, elle aussi, diminue. Comme le montrent les données de la NASA, le taux de CO₂ a oscillé naturellement entre 180 et 300 parties par million (ppm) au cours des 800 000 dernières années, les périodes les plus basses correspondant aux périodes glaciaires et les années intermédiaires aux périodes interglaciaires3. Les mêmes données montrent que ce taux a dépassé 300 ppm en 1911, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, et qu’il a continué à augmenter à un rythme sans précédent depuis lors. Désormais, le taux de CO₂ est surveillé quotidiennement par la NOAA (l’Agence océanique et atmosphérique des États-Unis) et ses données montrent que le niveau a dépassé 430 ppm en 2025, soit une hausse de plus de 40% par rapport à tout ce qu’a connu notre espèce jusqu’au XXe siècle4.

Pourquoi le taux de CO₂ a-t-il de l’importance ? Parce que notre planète est constamment en équilibre entre l’énergie reçue du soleil et la perte de chaleur vers l’espace. Le CO₂ déséquilibre ce système en ralentissant la perte de chaleur. Plus il y a de CO₂, plus la chaleur s’échappe lentement et plus il fait chaud. Et les chiffres sont colossaux ! Richard Allan, professeur de sciences du climat à l’université de Reading, a calculé qu’au début de l’année 2023, la Terre se réchauffait au rythme de 8 milliards d’habitants de la planète qui utiliseraient chacun 60 bouilloires pour faire bouillir l’océan5. Cela n’est pas sans conséquences !

Les conséquences sur la santé humaine ne sont pas les moindres. Les Centers for Disease Control (CDC) des États-Unis décrivent 6 l’impact du changement climatique sur tous les aspects de la santé humaine : maladies transmissibles (y compris les maladies à transmission vectorielle, alimentaire et hydrique), maladies chroniques, blessures physiques et santé mentale6. Il exacerbera également les inégalités de richesse, et l’expérience de la Covid-19 nous a montré combien les inégalités de richesse et de santé sont intimement liées.

En 2019, l’organisation Health Care Without Harm a publié un rapport estimant l’empreinte carbone du secteur de la santé à l’échelle mondiale7. Cette empreinte est plus de deux fois supérieure à celle de l’industrie aéronautique et représente environ 4,5% des émissions mondiales. En d’autres termes, nous créons effectivement nos propres patients.

C’est là que le lien avec la lutte contre les infections est essentiel et que les professionnels de l’hygiène peuvent avoir un impact déterminant. Quelle proportion des gestes réalisés dans les soins, et de la manière dont ils sont effectués (choix des produits, gestion des déchets, méthodes de décontamination) est motivée par la perception d’un réel risque d’infection ? Une part immense, assurément. Mais combien de fois cette réponse est-elle fondée sur une expertise réelle en hygiène, et non sur des habitudes ou des dogmes ? Je pense que nous serions tous d’accord pour dire que ce n’est pas assez souvent le cas !

Grâce à leur compétence en évaluation des risques – auxquels il faut désormais ajouter le risque environnemental – les praticiens en hygiène peuvent identifier les leviers de changement : nous pouvons être ceux qui identifient où le changement peut se produire, où nous pouvons réduire ce que nous utilisons et où nous pouvons passer à des versions ou des produits réutilisables, réduisant ainsi notre empreinte carbone et notre utilisation des ressources de la planète.

Voici quelques exemples de projets menés par des spécialistes du contrôle des infections que j’ai rencontrés :

  • essais de protections d’incontinence réutilisables en Ehpad,
  • réduction de l’utilisation des rouleaux de lit,
  • réduction de la fréquence de changement des draps à l’hôpital,
  • réduction de la pose de cathéters périphériques,
  • réduction de l’usage non justifié des gants,
  • rationalisation des besoins de préparation cutanée avant ponction veineuse,
  • réparation des fauteuils et des divans plutôt que remplacement,
  • optimisation des flux de déchets,
  • essai de rideaux réutilisables,
  • utilisation de coiffes, blouses et champs opératoires réutilisables,
  • adoption de désinfectants moins toxiques,
  • adoption de gels hydroalcooliques moins nocifs pour l’environnement,
  • essai de tabliers réutilisables,
  • essais de masques d’anesthésie réutilisables…

Et il y en a beaucoup, beaucoup d’autres !

Dans mon propre hôpital, nous avons récemment produit un rapport examinant les aspects pratiques de la mise en œuvre de certaines de ces mesures8, et nous serions ravis que ce rapport soit utilisé par d’autres équipes.

Nous sommes des acteurs centraux du système de santé. À ce titre, nous pouvons soit freiner le changement, soit l’accompagner. Et jamais le besoin de changement n’a été aussi urgent qu’aujourd’hui. Alors, si ce n’est pas déjà fait, contactez le responsable du développement durable de votre établissement, s’il y en a un, discutez avec vos équipes cliniques des moyens de rendre leurs pratiques plus durables et soyez le levier de ce changement.

Un dernier conseil si vous vous demandez par où commencer : jetez un œil à vos poubelles ! Qu’est-ce qui prend le plus de place ? Pourrait-il être moins utilisé ? Existe-t-il une alternative réutilisable ? Aucun système de santé au monde n’a encore atteint la neutralité carbone. Il n’existe donc pas de feuille de route pour cela. Il faudra des idées de tous les acteurs : ceux de la base, ceux du sommet et tous les acteurs intermédiaires.

Si ce n’est pas vous, qui le fera ? Si ce n’est pas maintenant, quand ?

Notes :

1- Zoological Society of London. Living Planet Report 2024 [internet]. Accessible à : https://livingplanet.panda.org/en-GB/ (Consulté le 14-04-2025).
2- Global Footprint Network. Earth Overshoot Day 2024 [internet]. Accessible à : https://www.footprintnetwork.org/2024/07/21/earth_overshoot_day_2024/ (Consulté le 14-04-2025).
3- National Aeronautics and Space Administration (NASA). Carbon Dioxide | Vital Signs – Climate Change [internet]. Accessible à : https://climate.nasa.gov/vital-signs/carbon-dioxide/?intent=111 (Consulté le 14-04-2025).
4- National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Trends in Atmospheric Carbon Dioxide [internet]. Accessible à : https://gml.noaa.gov/ccgg/trends/monthly.html (Consulté le 14-04-2025).
5- Allan R. Reconciling Earth’s growing energy imbalance with ocean warming. In : Weather and Climate at Reading [blog]. University of Reading ; 2025. Accessible à : https://blogs.reading.ac.uk/weather-and-climate-at-reading/2025/reconciling-earths-growing-energy-imbalance-with-ocean-warming/ (Consulté le 14-04-2025).
6- Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Effects of Climate Change on Health [internet]. Accessible à : https://www.cdc.gov/climate-health/php/effects/index.html (Consulté le 14-04-2025).
7- Health Care Without Harm. Health Care’s Climate Footprint. Bruxelles: Health Care Without Harm; 2019. 48 p. Accessible à : https://global.noharm.org/sites/default/files/documents-files/5961/HealthCaresClimateFootprint_092319.pdf (Consulté le 14-04-2025).
8- Great Western Hospitals NHS Foundation Trust. Infection Prevention & Control and Sustainability [internet]. Swindon (GB): Great Western Hospitals NHS Foundation Trust; 2024. Accessible à : https://www.gwh.nhs.uk/media/aakj2uqq/1-gwh-ipc-sustainability-report-v1-0-digital-spreads.pdf (Consulté le 14-04-2025).