Les infectiologues, les microbiologistes et les hygiénistes ont chacun des compétences et des expertises bien spécifiques. Dans le cadre de la gestion des infections associées aux soins (IAS), le microbiologiste a pour rôle le diagnostic, l’hygiéniste la prévention, et l’infectiologue le traitement en prenant en compte les pratiques de bon usage en antibiothérapie (BUA).
Néanmoins si l’on examine les choses de manière plus empirique, les points de rencontre et d’interaction entre ces trois professions sont fréquents et le plus souvent bénéfiques. La surveillance épidémiologique des IAS et des résistances bactériennes met obligatoirement en contact microbiologiste et hygiéniste, y compris lors de la gestion de clusters au sein des structures de soins. De la même manière l’infectiologue sera fréquemment sollicité en cas d’émergence de bactéries multirésistantes complexes à traiter après alerte par le microbiologiste, l’hygiéniste ou le clinicien. L’un des objectifs du BUA est la diminution des taux de résistance aux antibiotiques au sein des structures de soins, ce qui a un impact direct sur l’un des objectifs de la prévention du risque infectieux (PRI), à savoir la diminution des taux de bactéries multirésistantes (BMR). La question de l’antibioprophylaxie est également un point de rencontre fréquent entre la PRI et le BUA en collaboration avec les anesthésistes lors d’audits de pratiques par exemple.
Les bénéfices de la synergie
Au-delà de ces interactions ponctuelles, il existe de plus en plus de données de la littérature qui montrent que le développement d’une vraie collaboration, voire d’une synergie d’action entre ces trois acteurs est un atout efficace dans la lutte contre les IAS.
En 2017, la publication d’une méta-analyse sur 32 études a montré que le fait de conjuguer les mesures de PRI et les actions de BUA réduisait de manière significative l’incidence des colonisations et des infections à bactéries multirésistantes gram négatives, notamment à BLSE1, à SARM2 ainsi que les infections à C. difficile [1]. Cette diminution d’incidence était significativement plus importante lorsque le BUA était associé à des mesures de PRI telles que le renforcement des actions de promotion de l’hygiène des mains par exemple, que lors d’actions isolées de BUA. Un autre travail plus récent monocentrique [2] a également montré l’efficacité d’une action conjointe associant du « diagnostic stewardship » (gestion diagnostique) effectué par les microbiologistes, du BUA et un monitoring du bionettoyage sporicide dans la diminution des infections nosocomiales à C. difficile.
La pandémie de Covid-19, avec son lot de clusters liés aux soins a également été l’occasion de constater le bénéfice de cette synergie [3]. En effet, cette crise a permis de souligner l’importance des outils de surveillance en temps réel pour permettre une réactivité maximale. Cela a aussi permis de montrer l’importance cruciale des équipes d’hygiène dans la réponse aux émergences, qui a été complémentaire de la mise en place de protocoles de prise en charge thérapeutique par les infectiologues. L’un des enjeux de la réponse à la pandémie de Covid-19 a également été de limiter l’émergence des résistances bactériennes au sein des structures de soins, domaine où la PRI, le BUA et l’expertise microbiologique se rejoignent comme dit précédemment [3].
Des modes d’actions proches mais des niveaux de structuration encore disparates
Les activités de PRI et de BUA sont par nature transversales et multidisciplinaires, mais force est de constater que la PRI a un temps d’avance en termes de structuration. Ceci est vrai notamment concernant les outils de surveillance nationaux, tout comme le ratio souhaitable de personnels dédiés par établissement, qui fait l’objet depuis peu de préconisations nationales [4] (SF2H 2023 à la suite d’une saisine du ministère qui a abouti à des recommandations d’augmentation drastique des effectifs dédiés à la PRI tant au niveau médical que paramédical), ce qui n’existe pas encore pour les équipes en charge du BUA. De même, les outils d’audit déjà bien développés et systématisés en PRI doivent être une source d’inspiration pour le BUA et c’est l’un des enjeux de la nouvelle mission nationale Spares qui intègre désormais un volet BUA3.
Quels obstacles et leviers pour renforcer la synergie entre les acteurs ?
Une fois énoncés tous les bénéfices d’une collaboration renforcée entre nos différentes compétences, comment fait-on pour rendre la synergie effective et efficace ?
Une communication fluide et organisée entre équipes est probablement l’un des piliers de la collaboration. Une revue récente de la littérature suggère que le fait de structurer des moments dédiés à la communication entre plusieurs champs disciplinaires au sein des structures de soins a un impact notamment sur les durées d’hospitalisation, d’antibiothérapie ou de ventilation mécanique des patients [5]. Quatre études ont noté un impact sur la réévaluation de l’antibiothérapie empirique ou les durées de perfusion qui font partie des champs d’expertise à la fois du BUA et de la PRI [5]. Certains auteurs ont proposé un modèle intégrant trois axes à savoir le BUA, le « diagnostic stewardship » (apanage des microbiologistes), et la PRI pour aboutir à un objectif commun de prévention des IAS [6] On pourrait imaginer un partage des outils de surveillance, d’évaluation et d’analyse de données tout en gardant les spécificités et les champs de compétences propres de chaque professionnel. Les moments d’échanges autour de sujets complexes pourraient prendre la forme de réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) comme dans bien d’autres spécialités hospitalières.
Les obstacles majeurs à surmonter restent le manque de temps et le manque de ressources humaines qui sont souvent liés… Néanmoins, la structuration des équipes multidisciplinaires en antibiothérapie (EMA) dans le domaine du BUA et des centres de référence en antibiothérapie (CRatb) qui reprend le modèle des équipes de prévention du risque infectieux et des CPias sur le plan de la structuration territoriale représente une perspective encourageante. Dans le même ordre d’idée, le développement de formations diplômantes en thérapeutique anti-infectieuse pour les paramédicaux, permettra probablement de favoriser la collaboration avec les paramédicaux hygiénistes déjà implantés dans les structures de soins.
Notes :
1- Bactérie productrice de β-lactamases à spectre étendu.
2- Staphylococcus aureus résistant à la méticilline.
3- https://cpias-grand-est.fr/spares/ (Consulté le 08-09-2025).