Edito | Sans la science, pas de progrès,mais sans intégrité, pas de science

On peut en être fier : dès ses débuts, l’hygiène s’est construite par une série de démarches scientifiques. Dès que l’on a pris conscience des risques infectieux associés aux soins, des investigations ont été menées, avec les techniques disponibles à chaque époque, mais toujours avec le souci de créer des bases solides pour l’action. Ce fut un long chemin ! Rendons grâce aux initiateurs de l’hygiène comme science. Citons John Pringle, Jacques Tenon, Jean-Noël Hallé, Ignaz Semmelweis, Louis Pasteur, Joseph Lister, Florence Nightingale, Mary Barber… et il y en a eu tant d’autres par la suite. Dès le début, il s’agissait d’être honnête, de présenter des données conformes aux méthodologies reconnues en leur temps et de les diffuser dans des supports scientifiques sérieux.

L’intégrité, enjeu majeur pour la science et la santé

Aujourd’hui, dans un monde qui change, les manquements à l’intégrité deviennent malheureusement un enjeu majeur. Ils concernent tous les secteurs de l’activité scientifique et aussi la recherche en santé. Or on le sait : « sans intégrité, pas de science1 ». On a tous en mémoire les errances scientifiques de l’ex-Professeur Didier Raoult2, aujourd’hui unanimement condamné pour des publications douteuses et d’ailleurs rapidement rétractées. La rétractation par l’éditeur scientifique d’un article douteux doit être rapide. Mauvais exemple : il a fallu douze ans au prestigieux Lancet pour rétracter un papier proprement « frauduleux » sur des risques d’autisme associés aux vaccinations de l’enfant et en conséquence, l’idée a fait son chemin et les ligues anti-vaccinales en font toujours état comme d’ailleurs, aux États-Unis, Robert Kennedy Jr. (photo), le ministre de la Santé de Donald Trump. Dénoncé par les scientifiques américains, ce ministre fait régulièrement état de liens entre l’autisme et l’utilisation du paracétamol, les vaccinations ou même la circoncision. Il a limogé de nombreux scientifiques des Centers for Disease Control and Prevention d’Atlanta3 qui ne le suivaient pas et pousse sa directrice à la démission. Et il a des alliés : dans l’État républicain de Floride, le responsable de la santé a comparé les obligations vaccinales à de l’« esclavage » et annoncé vouloir « mettre fin à toutes les obligations vaccinales en Floride », y compris celles des écoliers. Sur la base de travaux douteux, le vaccino-septicisme bat vraiment son plein… À quand le tour de l’hygiène hospitalière ?

Si vous avez accès au BMJ, lisez les cinq articles réunis dans le numéro du 19 septembre 20254. Ils analysent certains des problèmes mondiaux majeurs liés à « l’abandon de la science et de ses avancées » s’agissant des vaccinations, de la surconsommation de sucre, des additifs et des pesticides, des mesures anti-tabac, de l’industrie de la fertilité, etc.

Le site de l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis)5 informe sur ce qui a été mis en place en France pour identifier et réduire les problèmes de publication douteuse avec désignation d’un référent à l’intégrité scientifique dans chaque université et chaque organisme de recherche. Celui-ci a l’obligation de transmettre les problèmes d’intégrité scientifique à l’Ofis qui en fera la synthèse tous les deux ans. Le premier rapport 2022-20236 est accessible : il fait état de 130 manquements à l’intégrité (ce qui est probablement sous-estimé, les établissements étant loin d’être tous en état de marche). Parmi ces manquements : des falsifications de données, des pures inventions, de simples plagiats et aussi des désaccords sur les auteurs du travail.

L’intégrité scientifique et nous

Notre revue fait tout son possible pour échapper aux défauts d’intégrité : examens systématiques des propositions de publication par au moins deux relecteurs compétents et indépendants, recherches bibliographiques parallèles si nécessaire. Pour certains articles, on devra à l’avenir solliciter un relecteur statisticien lorsque cela sera utile.

Le fait que nous ne soyons pas (encore) référencés par MedLine est d’une certaine mesure un relatif avantage en matière d’intégrité. Le système Sigaps permet de rétribuer les établissements (et les équipes de recherche) en fonction des publications indexées dans PubMed. Cela peut conduire à des dérives. Elles sont bien connues : au minimum, des republications de travaux déjà indexés, voire des publications abusives comme ce fut le cas pour un célèbre médecin marseillais dont la production scientifique est très abondante mais de qualité inégale et souvent dans des revues discutées. Il semble que cela lui a permis de rapporter 20% des points Sigaps de l’AP-HM, ce qu’il utilise pour influer sur la direction de ce CHU7.

Seule remarque ; sans que cela constitue un défaut rédhibitoire car nous demandons souvent des corrections à ce sujet, certains auteurs devraient être plus prudents dans les conclusions de leurs travaux, surtout pour les articles basés sur de simples observations ou expériences de terrain. Il faut alors bien souligner les difficultés et limites des méthodes employées, mettre en valeur les aspects spécifiques du terrain étudié et être prudents dans les propositions de généralisation.

Notes :

1- Entretien avec Stéphanie Ruphy, directrice de l’OFIS. Propos recueillis par Alice Carliez. La Recherche. 2025 ;583:7-12.
2- Source : wikipedia.org
3- Voir l’éditorial de Robert Gaynes, Hygiènes. 2025 ;33(2):83-84.
4- Voir https://www.bmj.com/archive/online/2025/09-15 (Consulté le 15-10-2025).
5- Accessible à : https://www.ofis-france.fr/ (Consulté le 15-10-2025).
6- Office français de l’intégrité scientifique (Ofis). Traitement des manquements potentiels à l’intégrité scientifique en France : synthèse 2022-2023. Paris: Ofis, 2025. 52 p. Accessible à : https://www.ofis-france.fr/wp-content/uploads/2025/06/Ofis-Synthese-bisannuelle-2022-2023-traitement-manquements-integrite-scientifique.pdf (Consulté le 15-10-2025).
7- Voir Larousserie D. Lancetgate : publier beaucoup dans des revues scientifiques peut rapporter gros. Le Monde. 15 juin 2020. Accessible à : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/06/15/lancetgate-publier-beaucoup-dans-des-revues-scientifiques-peut-rapporter-gros_6042952_1650684.html (Consulté le 15-10-2025).