L’hygiéniste et la transformation écologique en santé : l’expérience du centre hospitalier universitaire de Bordeaux

Hygienists and ecological change in healthcare: the experiment of the Bordeaux teaching hospital

hélène boulestreau

hélène boulestreau

Microbiologie de l’environnement – Hôpital Pellegrin – Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux – Place Amélie Raba-Léon – 33000 Bordeaux – France
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agnès lashéras-bauduin

agnès lashéras-bauduin

Service d’hygiène hospitalière – Hôpital Pellegrin – CHU de Bordeaux – Bordeaux – France
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noëlle bernard

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Service de médecine interne et maladies infectieuses – Hôpital Saint-André – CHU de Bordeaux – Bordeaux – France
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L’hygiéniste et la transformation écologique en santé : l’expérience du centre hospitalier universitaire de Bordeaux

Figures HY_XXXI_3_Boulestreau_0.pdf

Résumé

Face au « dérèglement climatique [qui] devrait profondément perturber notre système de soins » [4], la transformation écologique de nos établissements de santé est essentielle pour limiter l’impact de notre système de santé qui représente 8% des émissions de gaz à effet de serre, en France [4]. La transformation écologique va s’accompagner inévitablement de changements dans les pratiques de soins. La place de l’hygiéniste est essentielle pour accompagner ces changements tout en garantissant la qualité et la sécurité des soins. Un soin durable doit être un soin sûr. Nous présentons ici la collaboration des hygiénistes de notre établissement dans les projets de transformation écologique au travers de différents exemples. Tout d’abord, le bon usage des gants à usage unique, que l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) rappelle de ne porter qu’à bon escient pour une hygiène des mains adaptée et prévenir le risque de transmission croisée des micro-organismes. Ensuite, l’entretien des sols avec des microfibres, qui permet de diminuer l’exposition des patients et des professionnels aux produits chimiques, la consommation d’eau et les rejets de ces produits dans les effluents tout en améliorant l’efficacité détergente. Nous nous intéressons aussi au tri des déchets, car réduire le volume des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) tout en respectant la réglementation et la sécurité des professionnels réduit l’impact environnemental, le coût, et permet de simplifier les consignes de tri. Une place importante est réservée au bon usage de l’eau, dont les établissements de santé sont de gros consommateurs, la collaboration de l’EOH avec les services techniques ayant permis de diminuer le risque infectieux associé, tout en réduisant les consommations et en limitant l’usage de l’eau embouteillée au juste nécessaire. Enfin, nous comparons l’usage unique à la réutilisation, l’étude d’impact environnemental ne devant pas se limiter au volume de déchets, et la prise en compte du risque infectieux potentiel de chaque dispositif médical ou consommable étant indispensable. Ces exemples illustrent le rôle essentiel de l’hygiéniste dans cette démarche.

Mots clés: Praticien hygiéniste - Infirmier hygiéniste - Equipe opérationnelle d'hygiène - Gestion du risque - Environnement - Prévention des infections - Analyse préliminaire des risques

Abstract

Towards the “climate disruption (which) is expected to profoundly disrupt our healthcare system” [4], the ecological transformation of our healthcare institutions is essential to limit the impact of our healthcare system, which accounts for 8% of greenhouse gas emissions in France [4]. The ecological transformation will inevitably be accompanied by changes in care practices. The hygienist’s role is essential to support these changes while guaranteeing the quality and safety of care. Based on several examples, this article is the fruit of a reflection involving the hygienists of our facility. It notably investigated the proper use of disposable gloves and the importance of only wearing them when need be, to promote adequate handwashing and prevent the risk of micro-organism cross-transmission. Floor cleaning using microfibre mops was found to improve cleaning effectiveness whilst reducing the exposure of patients and staff to chemicals, and decreasing both water consumption and the discharge of these agents in the outflow. Waste sorting was found to diminish the amount of potentially infectious medical waste whilst complying with current regulations and ensuring staff safety which, in turn, reduces the environmental impact and costs, and simplifies waste-sorting instructions. The proper use of water resources was also investigated, particularly since healthcare facilities are large consumers with multiple uses. Collaboration between the Operational Hygiene Team and technical services led to a reduction of water-related infection risks coupled with a decreased consumption and a lesser use of bottled water. Single-use versus reusable: environmental-impact studies should not be restricted to the sole monitoring of waste volumes. Taking the potential infection risk of each medical device or consumable into account is crucial if the right decisions are to be taken.

Keywords: Infection control practitioners - Infection control nurse - Infection control team - Warning - Environment - Infection prevention - Risks preliminary analysis

Article

Depuis plusieurs années, les réglementations et politiques mondiales, européennes et nationales nous incitent à prendre en compte la nécessaire transition énergétique. Ainsi, au niveau national, la loi de 2015 relative à la transformation écologique pour la croissance verte (LTECV) [1] fixait les grands objectifs d’un nouveau modèle énergétique français, et proposait des actions visant à favoriser l’économie circulaire et une meilleure gestion des déchets. La loi Egalim1 de 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous [2] se positionnait, entre autres, sur l’interdiction de l’utilisation de bouteilles d’eau plate en plastique dans les cantines scolaires. De son côté, la loi Agec2 de février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire proposait une accélération du changement des modèles de production et de consommation, afin de limiter les déchets et de préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat [3]. Ces différents textes s’appliquent à tous et notamment aux établissements de santé, qui représentent un volume de 2,5 millions de professionnels, soit plus de 9% de l’emploi en France. Ainsi, le secteur de la santé contribue lui-même à la dégradation du climat et de la biodiversité, car « il apporte des services, consomme des biens et aliments, produit des déchets, mobilise des transports, construit, chauffe et refroidit des locaux ». Dans ce contexte, la transformation écologique dans laquelle s’engagent les établissements de santé est donc essentielle et face à des changements de pratiques nécessaires, la qualité et la sécurité des soins sont un enjeu fort afin de garantir qu’un soin durable reste un soin sûr [4]. La prévention du risque infectieux permet d’éviter des infections dont l’effet direct pour les patients pèse également sur la durabilité des établissements et de l’écosystème (allongement des durées de séjour, augmentation de la charge en soins, besoins en examens et traitement supplémentaires, antibiotiques notamment…). La transition écologique nous amène à de nouvelles réflexions pour soigner autrement [5]. Ainsi, cette double perspective impose aux hygiénistes d’être au cœur des projets de développement durables en santé, pour réfléchir ensemble à de nouvelles pratiques tout en garantissant la qualité et la sécurité des soins [6]. Nous présentons ici la place de l’hygiéniste dans la démarche de transformation écologique du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux.

Place de l’hygiéniste dans la réflexion institutionnelle

La collaboration de l’hygiéniste a été importante dès la rédaction du projet d’établissement 2021-2025, notamment à travers sa participation à la réflexion collective sur la transformation écologique de notre établissement. La transformation écologique représente un des neuf thèmes prioritaires du projet d’établissement avec 3 axes : limiter l’impact environnemental des activités, conduire le projet de transformation du CHU selon des critères environnementaux et adapter les organisations et les fonctionnements aux crises écologiques.

Le projet des Unités durables est venu accélérer le processus de transformation écologique. Dans ce projet, l’hygiéniste constitue un appui solide pour accompagner les changements de pratiques en veillant à éviter les impacts éventuels de risque infectieux et ainsi en contribuant à garantir la qualité et la sécurité des soins durables.

Réduction des déchets et achats durables

Afin de réduire nos déchets [5,7,8] et de rendre nos achats plus durables (critère d’écoconception, de recyclage, de réutilisation et de bon usage) tout en veillant à allier la qualité des soins et la diminution des impacts environnementaux, l’expertise technique de l’hygiéniste est d’une utilité majeure pour orienter les choix possibles au regard des risques et de la réglementation en vigueur. Si l’utilisation importante des dispositifs médicaux à usage unique est souvent nécessaire pour la sécurité des patients, lors de la réalisation de soins invasifs notamment, une démarche de réflexion vers du matériel réutilisable est possible en associant les pharmaciens responsables de la stérilisation au sein des établissements. En revanche, l’orientation vers l’usage unique a souvent été excessive dans d’autres domaines moins à risque. Ainsi, depuis peu, nous avons pu remplacer l’achat de brosses à dents à usage unique pré-imprégnées de dentifrice (une brosse à dents pour un brossage) par l’achat de dentifrice et de brosses à dents à patient unique mais à usage multiple. Enfin, le bon usage du matériel à usage unique en limite l’utilisation au strict nécessaire et contribue à réduire leur consommation, donc leur impact environnemental – ainsi, la sensibilisation des professionnels au bon usage des gants à usage unique non stériles contribue à favoriser la désinfection des mains et réduit le risque de transmission croisée.

« Bien-vivre » pour les patients et les professionnels

Soutenir les actions en faveur du « bien-vivre » au CHU pour les patients et les professionnels passe notamment par la réduction de l’exposition aux produits chimiques… L’hygiéniste est un expert technique important pour réfléchir à la place des produits détergents­-désinfectants dans l’environnement hospitalier et peut être moteur quant à l’ouverture vers des techniques plus écologiques – par exemple pour le déploiement de l’entretien des sols à la microfibre sans chimie.

Adaptation aux défis énergétiques et climatiques

L’hygiéniste contribue à l’adaptation du CHU aux défis énergétiques et climatiques (écoconception, rénovation des bâtiments, énergies renouvelables, climatisations écologiques…) en veillant à ce que la qualité de l’air et de l’eau soit garantie au travers des nouvelles technologies envisagées.

Bon usage des gants à usage unique

Une des premières actions conjointes « développement durable » et « prévention du risque infectieux » que nous ayons menée au CHU de Bordeaux concerne le bon usage des gants à usage unique non stériles [9,10,11,12,13,14]. La sensibilisation à la fois au développement durable et aux risques associés aux soins n’est donc pas incompatible, bien au contraire ! L’usage des gants à bon escient par les professionnels est un message que porte l’équipe opérationnelle d’hygiène hospitalière (EOH) au quotidien et depuis longtemps. Leur utilisation est bien évidemment essentielle pour protéger les professionnels en cas d’exposition aux produits chimiques, aux liquides biologiques et à quelques rares situations d’infection comme la gale et les infections à Clostridium difficile. En dehors de ces indications, le port des gants augmente le risque de transmission de micro-organismes car ils sont très vite contaminés et empêchent les professionnels de réaliser une hygiène des mains adaptée. Dans le cadre du développement durable, le bon usage des gants est également un enjeu car les gants, constitués de matière plastique, souvent fabriqués à l’autre bout du monde, génèrent un volume important de déchets et affichent une empreinte carbone conséquente. En moyenne, un service de soins utilise 230 000 gants chaque année. Lors du travail sur les Unités durables initié en 2020, ce sujet a été retenu comme prioritaire : nous avons donc travaillé avec les 8 unités pilotes pour limiter leur consommation de gants et améliorer ainsi l’hygiène des mains des professionnels afin de garantir des soins plus sûrs. Ce projet permet de sensibiliser les professionnels de différentes manières : rappels des bonnes pratiques, formation, campagne d’information à l’aide d’affiches (plastifiées pour être réutilisées), actions de communication via le journal interne et le groupe développement durable de l’établissement, recherche des freins à l’utilisation excessive des gants par l’EOH lors de rencontres individuelles des professionnels (Figure 1). Une sensibilisation des services à l’utilisation des gants uniquement à bon escient pourrait avoir des effets sur la réduction de la consommation des gants et donc des déchets et des achats (effet carbone), tout en permettant de réduire le risque de transmission croisée en favorisant la désinfection des mains (Figure 2). Il n’est pas question de dire aux professionnels de moins se protéger avec des gants, mais de se protéger uniquement lorsque cela est nécessaire. Le développement durable peut être ici un levier de sensibilisation pour diffuser – encore et toujours – les bonnes pratiques lors des soins.HY_XXXI_3_Boulestreau_fig1HY_XXXI_3_Boulestreau_fig2

Entretien des sols sans chimie

Le groupe de travail transversal Qualité de l’environnement du patient, qui associe le service de bionettoyage, le service d’hygiène hospitalière et le service de santé au travail, mène une réflexion depuis de nombreuses années pour réduire l’utilisation des produits chimiques dans l’entretien des locaux tout en garantissant la qualité de l’environnement attendue dans notre établissement en secteurs de soins [15,16]. Jusqu’en 2018, les sols étaient entretenus avec des détergents­-désinfectants. La méthode de lavage à plat, plus ergonomique pour les professionnels et moins consommatrice d’eau, a été largement développée ces dernières années car elle permet également d’améliorer la qualité du nettoyage des sols. Ainsi, à partir de 2018, nous avons pu remplacer le détergent-désinfectant par un détergent neutre permettant une meilleure efficacité de nettoyage (la désinfection n’est pas utile pour l’entretien des sols dans la plupart des services). Toujours avec le souhait permanent de limiter les produits chimiques aux indications nécessaires, le groupe a mené une réflexion sur l’utilisation de nouveaux bandeaux de lavage en microfibre disponibles sur le marché, utilisables par imprégnation d’eau sans produit chimique et permettant d’obtenir une efficacité mécanique d’entretien des sols comparable voire supérieure à celle obtenue avec les bandeaux classiques imprégnés de détergent. Des essais ont été réalisés dans plusieurs secteurs du CHU avec des résultats très satisfaisants. Le référencement de ces nouveaux matériels au CHU nous permet de déployer cette technique d’entretien des sols sans chimie dans la plupart des secteurs de soins et les secteurs administratifs. Ce déploiement est effectué progressivement depuis janvier 2022 par le service de bionettoyage auprès des agents de service hospitalier. Cette nouvelle technique d’entretien des sols sans chimie associée au lavage à plat présente plusieurs avantages : une meilleure efficacité de nettoyage par action mécanique favorisant le retrait du biofilm, une meilleure ergonomie pour les professionnels, des économies d’eau, la réduction de l’exposition des professionnels et des patients aux détergents et désinfectants, et la réduction des rejets de détergents et désinfectants dans les effluents (Figure 3).HY_XXXI_3_Boulestreau_fig3

Tri des déchets d’activité de soins

Même si l’action prioritaire en termes de production des déchets reste la réduction à la source, le tri des déchets d’activité de soin non dangereux (DASND) et des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) est un enjeu économique (Dasri 700 €/t, DASND 250 €/t) et écologique (Dasri 0,955 t eqCO23, DASND 0,323 t eqCO2) [7,8,17]. L’amélioration du tri des Dasri et DASND et la réduction de l’impact environnemental lié à l’évacuation des déchets sont une préoccupation du CHU depuis 2010. La mobilisation d’acteurs du CHU dans l’accompagnement et la sensibilisation, conjuguée à l’action de tous, a permis une division par deux du tonnage de Dasri, soit plus de 1 000 t eqCO2 évitées pour le traitement (l’équivalent de 7 millions de kilomètres parcourus en citadine) et 3,7 millions d’euros économisés (Figure 4). Pour renforcer davantage nos actions dans ce domaine, l’EOH et le responsable déchets de l’établissement ont souhaité actualiser les préconisations de tri DASND/Dasri au plus juste en reprenant les exigences réglementaires et en s’appuyant sur un travail déjà lancé par l’agence régionale de santé Occitanie. Ce travail a permis de repréciser aux professionnels quels déchets étaient à éliminer dans la filière Dasri par la diffusion d’une nouvelle procédure de tri détaillée et des affiches retravaillées avec les services de soins afin de répondre au mieux à leurs spécificités (bloc opératoire et réanimation, unités de soins, laboratoire). L’expertise de l’hygiéniste a ici toute sa place pour faire évoluer les pratiques tout en garantissant une gestion sécurisée des déchets d’activité de soins. Pour cela, une démarche d’information et de sensibilisation des professionnels a été conduite depuis 2021 à l’aide d’une boîte à outils mise à leur disposition (diaporama commenté, foire aux questions, vidéo, affiches…) et des ateliers de compétences sur ce thème ont été organisés. Près de 700 professionnels ont ainsi été formés au cours de 37 sessions de formation et 8 ateliers en 2021 et 2022.HY_XXXI_3_Boulestreau_fig4

Bon usage de l’eau

L’eau est une ressource précieuse et nous sommes tous concernés car ses usages sont multiples dans un établissement de santé [18,19]. Les usages non spécifiques concernent les secteurs alimentaire (boisson, cuisine, biberonnerie), sanitaire (hygiène des mains, toilette, entretien), technique (chauffage, climatisation, stérilisation, laboratoire…). Les usages médicaux de l’eau couvrent lavage de plaies, détersion cutanée, dilution de médicaments, de désinfectants, hémodialyse, oxygénothérapie, aérosolthérapie, traitement des dispositifs médicaux, lavage gastrique, soins de bouche, fonctionnement des units dentaires… Au CHU, nous consommons actuellement environ 500 millions de litres d’eau annuellement, soit quatre bassins olympiques par semaine, ou encore 460 litres par lit et par jour. Cette consommation, ramenée à un lit, représente la consommation quotidienne de l’eau au sein de l’établissement quel que soit son usage (Figure 5). À tous les niveaux, il est important de réfléchir à la manière de consommer moins sans générer de risque pour le patient, les professionnels, les visiteurs. Dans notre établissement, un groupe de travail transversal Qualité de l’eau associe service d’hygiène hospitalière et services techniques. Ce groupe existe depuis plus de vingt-cinq ans et a pour objectif de mettre en œuvre la réglementation et d’apporter son expertise pour prévenir le risque infectieux lié à l’eau. Il est un partenaire essentiel pour la démarche de transformation écologique car il contribue à la fois à préserver la ressource (abaissement de la pression dans les réseaux d’eau, recherche et réparation des fuites, recherche et élimination des bras morts) tout en garantissant la sécurité des usages. Il promeut la bonne utilisation des réseaux d’eau en rappelant l’importance des plans de purge dans la prévention du risque de légionellose, tout en en précisant les modalités pour limiter les volumes d’eau éliminés au strict nécessaire. Il rappelle également l’importance du maintien des températures de l’eau chaude sanitaire au niveau de la production et dans les réseaux, car la survenue d’une colonisation de réseau par les légionelles en raison de températures trop basses serait contreproductive, tant en termes de risque infectieux pour les patients que sur le plan écologique, avec la nécessité de provoquer un choc thermique ou chimique et d’éliminer de gros volumes d’eau et sans compter le risque de détérioration du réseau et de la robinetterie. Un autre sujet sur lequel le groupe s’est positionné a concerné les réducteurs de débit. En effet, si ces dispositifs permettent de faire des économies d’eau, ils peuvent entraîner la contamination de l’eau en favorisant sa stagnation en amont, mais également en rendant leur entretien annuel recommandé (détartrage, nettoyage et désinfection) difficile du fait de leur conception. Nous avons donc préféré opter pour leur utilisation dans les bâtiments n’hébergeant pas de patient. Une réflexion identique a été menée pour les robinets avec bouton-poussoir qui ont été installés dans un nouveau bâtiment sans concertation préalable. Leur utilisation a été cantonnée aux toilettes publiques. En revanche, le travail des services techniques, dans le cadre du groupe, sur l’abaissement de la pression dans les réseaux d’eau et la recherche et la réparation des fuites d’eau, a permis de substantielles économies sans risque de contamination du réseau. Concernant la délivrance d’eau potable rafraîchie aux patients, professionnels et visiteurs, notre établissement a choisi de s’équiper de fontaines réfrigérantes depuis de très nombreuses années : 264 sont installées prioritairement dans les services de soins, mais aussi les salles d’attente et les services support. Conformément à la réglementation, ces fontaines bénéficient d’une maintenance et d’une analyse microbiologique annuelles. Elles évitent l’achat de très nombreuses bouteilles d’eau qu’il faudrait stocker et dont il faudrait éliminer les déchets. Un travail complémentaire a été réalisé par le laboratoire de microbiologie de l’environnement en collaboration avec le groupe Qualité de l’eau, qui a permis de réduire le temps de purge matinal et en cours de journée de 3 min à 1 min, après test de la qualité de l’eau par ATPmétrie4 avant purge et après 3 min, 2 min et 1 min. En parallèle, le service d’hygiène hospitalière rédige et diffuse des recommandations de bon usage de l’eau Quelle eau pour quel usage ? Pour garantir la sécurité des soins vis-à-vis du risque de légionellose mais aussi associé à d’autres bactéries d’origine hydrique. Il encadre ainsi, par exemple, les indications de l’utilisation des bouteilles d’eau en en limitant l’usage aux patients avec risque de fausse route (boisson, soins de bouche ou bains de bouche), aux patients fortement immunodéprimés, à certains soins (réhydratation ou prise de médicaments par sonde nasogastrique…). Plus généralement, les services se voient proposer une démarche pour réduire leur consommation en eau accompagnée d’une boîte à outils (Figure 6) :

  • sensibiliser l’équipe en lui présentant la démarche et en lui faisant faire un état des lieux de son équipement, de sa consommation et des différents usages de l’eau dans le service, tout en gardant en tête les risques associés à la stagnation de l’eau et à l’utilisation des réducteurs de débit (réservés aux secteurs sans patients). Il existe des stickers ludiques sur le bon usage de l’eau qu’il est facile de se procurer, qui ont été sélectionnés par un concours interne auprès des professionnels, de leurs enfants et des enfants hospitalisés ;
  • réfléchir en équipe à la procédure de certains gestes quotidiens très consommateurs d’eau (toilette, rinçage d’instruments…) afin de trouver des solutions pour consommer moins sans risquer d’altérer la qualité de l’eau, par exemple en utilisant des bassines d’un volume plus petit pour la toilette ;
  • favoriser l’utilisation d’automates chaque fois que possible (lave-bassin, lave-vaisselle…) ;
  • limiter l’utilisation d’eau en bouteille pour éviter le gaspillage et la production de déchets, tout en maintenant la qualité de l’eau : ne la réserver qu’à certains profils de patients pour des soins spécifiques et privilégier les fontaines réfrigérantes connectées au réseau d’eau potable ;
  • solliciter l’ingénierie pour signaler une fuite, le changement d’orientation de certaines pièces (salle de bains transformée en réserve…) et étudier la pertinence de certains travaux (élimination des bras morts fonctionnels dans une ancienne salle de bains…).HY_XXXI_3_Boulestreau_fig5HY_XXXI_3_Boulestreau_fig6

Conclusion

Le système de santé, dont l’objectif principal est de soigner, présente le paradoxe de contribuer lui-même à la dégradation de la santé du fait de son impact sur l’environnement au travers de son fonctionnement et de la survenue des événements indésirables comme les infections associées aux soins. À l’heure du questionnement sur les changements de pratiques pour développer des soins durables, optimiser au mieux les soins en réfléchissant à l’utilisation raisonnée des ressources sans générer de surrisque grâce à l’analyse de risque, permet de garantir la sécurité des soins. L’hygiéniste a été formé à cet exercice : il a toute sa place dans cette démarche où son expertise est requise pour s’assurer qu’aucune action, même séduisante au premier regard en termes de préservation des ressources, n’aura de conséquence néfaste sur la sécurité des soins. Pour rendre les différentes actions plus visibles, le recueil et l’affichage d’indicateurs sont pertinents : évolution de la consommation en gants non stériles à usage unique dans les services qui se sont engagés à leur bon usage, évolution du tonnage annuel des Dasri et DASND, évolution de la consommation en eau de l’établissement (bien que ce dernier indicateur soit plus fragile car soumis à de nombreux aléas comme l’ouverture de nouveaux bâtiments, les fermetures de lits…), etc.

Notes :

1- États généraux de l'alimentation.
2- Anti-gaspillage pour une économie circulaire.
3- Équivalent CO2.
4- Mesure de la quantité d’adénosine triphosphate.

Informations de l'auteur

Financement : les auteurs déclarent ne pas avoir reçu de financement.

Liens d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

Références

1- Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

2- Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

3- Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

4- The Shift Project. Décarboner la santé pour soigner durablement [Internet]. Paris, 2023. Accessible à : https://theshiftproject.org/ (Consulté le 02-05-2023).

5- Tedros AG. Moins de préjudices, de meilleurs soins : de la résolution à la mise en œuvre. 5e Sommet ministériel mondial sur la sécurité des patients, Montreux, 23-24 février 2023.

6- Haute Autorité de santé. Comprendre la sécurité du patient [Internet]. Saint-Denis, 2022. Accessible à : https://www.has-sante.fr/jcms/c_2582468/fr/comprendre-la-securite-du-patient (Consulté le 02-05-2023).

7- Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cpias) Pays de la Loire. Risque infectieux lié aux déchets d’activités de soins : repères et outils d’évaluation. Nantes, 2018. 23 p.

8- Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) Occitanie. Déchets d’activité de soins et risque infectieux : mise au point. Montpellier, Toulouse, 2021. 22 p.

9- Société française d’hygiène hospitalière (SF2H). Actualisation des précautions standard : établissements de santé, établissements médicosociaux, soins de ville. Hygiènes 2017;25(HS). Accessible à : https://sf2h.net/publications/actualisation-precautions-standard-2017 (Consulté le 02-05-2023).

10- Société française d’hygiène hospitalière (SF2H). Avis relatif à l’utilisation des gants médicaux par les professionnels de santé dans les établissements de santé et médico-sociaux dans la cadre de la pandémie de Covid-19. Brest, 2020. 5 p.

11- Ministère des Solidarités et de la Santé. Message d’alerte rapide sanitaire (Mars) n° 2020_89 du 16 octobre 2020 : Juste utilisation des gants médicaux. Paris, 2020. 2 p.

12- Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) Pays de la Loire. Tout savoir sur le bon usage des gants [Affiche]. Nantes, 2020. 1 p.

13- Centre de coordination de lutte contre les infections nosocomiales Sud-Est. Gants, source de transmission croisée ? Mésusage des gants [Vidéo]. Lyon, 2016. 1 min 50 s. Accessible à : https://www.youtube.com/watch?v=tcCgOu3JOtQ (Consulté le 02-05-2023).

14- Norwegian Institute of Public Health. The invisible challenge II – Spread of bacteria in hospital settings [Vidéo]. Oslo, 2017. 2 min 12 s. Accessible à : https://www.youtube.com/watch?v=9R8fHo6WfzY (Consulté le 02-05-2023).

15- Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine. Le centre hospitalier de Guéret innove : le nettoyage écologique des sols [Vidéo]. Bordeaux, 2019. 5 min 38 s. Accessible à : https://www.youtube.com/watch?v=aSTJk6TEM5w (Consulté le 02-05-2023).

16- Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes. Guide régional : éconettoyage, généralités et secteurs de soins hors salles propres et environnement maitrisé. Lyon, 2021. 96 p.

17- Ministère des Affaires sociales et de la Santé. Pour une bonne gestion des déchets produits par les établissements de santé et médico-sociaux : déchets issus de médicaments, déchets liquides. Paris, 2016. 138 p.

18- Ministère de la Santé et des Solidarités. L’eau dans les établissements de santé : guide technique. Paris, 2005. 115 p.

19- Arrêté du 1er février 2010 relatif à la surveillance des légionelles dans les installations de production, de stockage et de distribution d’eau chaude sanitaire.

Citation

Historique : Reçu 11 avril 2023 – Accepté 2 mai 2023 – Publié 19 mai 2023.

Boulestreau H, Lashéras-Bauduin A, Bernard N. L’hygiéniste et la transformation écologique en santé : l’expérience du centre hospitalier universitaire de Bordeaux. Hygiènes 2023;31(3):232-238. Doi : 10.25329/hy_xxxi_3_boulestreau

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